Les fruitiers rares
 
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Article publié en 2009, enrichi en 2014 et 2015.
Auteurs : François DROUET et Robert PELISSIER.
Photographies : Robert PELISSIER.

Remerciements à Mary PENNEL, Lorinda JEWSBURY.
Tous droits réservés.

 

 

A la recherche de la cerise Belle Agathe de Novembre

 

 

 

Alexandre Bivort, pomologue belge réputé, a dirigé la publication, entre 1853 et 1860, à raison d'un volume par an, des Annales de Pomologie Belge et Etrangère rédigées par la Commission royale de Pomologie (F. Parent, imprimeur-éditeur à Bruxelles). Il s'agit d'un ensemble de notices descriptives de fruitiers, élaborées par des pomologues belges et français. Elles sont précédées par un chapitre de considérations générales écrit par Alexandre Bivort et par une nomenclature pomologique et botanique rédigée par Charles Auguste Hennau, professeur à l'université de Liège. Parmi les variétés de cerises décrites dans le volume troisième (1855), se trouveBelle Agathe de Novembre, d'une tardiveté exceptionnelle qui en fait véritablement un fruitier rare.

Notre article en reprend la notice, ainsi que la planche d'illustration, telles que figurant dans les annales précitées. Il rend compte ensuite de la longue investigation que nous avons entreprise pour retrouver cette variété, vérifier son identité et essayer de comprendre son époque de maturité. Sommaire de l'article : notice descriptive et planche d'illustration, recherche de la variété disparue, observation du plant d'origine Brogdale, problématique de l'époque de maturité, l'époque de maturité à Haelen, l'époque de maturité à Brogdale, contradictions entre les dates de maturité en Angleterre, Rivers Nursery Site & Orchard Group, station de recherches d'East Malling, conclusion.

 

NOTICE DESCRIPTIVE ET PLANCHE D'ILLUSTRATION

(Annales de Pomologie Belge et Etrangère, volume troisième, page 9, 1855 - Auteur : Alexandre Bivort)

 

En novembre 1853, M. le capitaine Thiéry, de Haelen (Limbourg belge) envoya à la Commission royale de Pomologie une corbeille remplie de cerises, afin de les soumettre à son appréciation. Il déclara dans sa lettre d'envoi que cette cerise provenait de ses semis et qu'il l'avait nommée Belle Agathe de Novembre.  Après un mûr examen, la Commission a reconnu que cette variété était nouvelle, et que, par sa beauté relative comme par sa qualité, elle se plaçait au premier rang parmi les cerises douces très tardives. Elle mérite, en effet, une place distinguée dans nos jardins et surpasse, sous tous les rapports, la Cerise Tardive du Mans et le Bigarreau d'Octobre. La Belle Agathe de Novembre a été mise dans le commerce en 1852 par son propriétaire ; elle est cultivée aujourd'hui dans presque toutes les pépinières du royaume.

Le fruit est moyen, ovale-arrondi, légèrement déprimé à sa base comme à son sommet. La peau est assez épaisse, rouge clair, marbrée et ponctuée de pourpre foncé. La couture est superficielle ; le point pistillaire est petit, rond, roux, proéminent. Le pédoncule, grêle, long de 6 centimètres, est placé dans une cavité profonde et arrondie. La chair est jaunâtre et l'eau est douce, sucrée, très agréable. Le noyau est assez gros, ovale, obtus, très convexe. Les arêtes dorsales sont proéminentes et tranchantes. L'arête du ventre est obtuse. L'arbre est très vigoureux et très fertile, le bois en est gros, droit, raide ; l'épiderme est gris-blanc. La feuille est ample, ovale-lancéolée pointue, largement dentée. Le pétiole, long de 45 millimètres, largement cannelé, vert ombré de rouge, est muni de deux fortes glandes ovales, aplaties et creusées en dessus, rouges, placées presque en regard à une petite distance du disque.
 

Cerise Belle Agathe de Novembre

Planche extraite des Annales de Pomologie Belge et Etrangère,
Commission royale de Pomologie, 1853-1860, chez F. Parent imprimeur-éditeur à Bruxelles.

 

RECHERCHE DE LA VARIETÉ DISPARUE

 

C'est en lisant l'ouvrage Annales de Pomologie Belge et Etrangère (1855), il y a une trentaine d'années, que j'ai découvert la cerise Belle Agathe de Novembre. Elle y est décrite par Alexandre Bivort, pomologue belge réputé, dans le volume troisième, page 9 (description et planche reproduites ci-dessus). Belle Agathe de Novembre fut obtenue de semis à Haelen (Limbourg belge) vers 1850 par le capitaine François Thiéry. Celui-ci combattit à Waterloo au sein du régiment des hussards de Croy, et refusa de trahir le Régent pendant les conspirations militaires de 1831, ce qui lui coûta le restant de sa carrière d'officier de cavalerie. Il terminait alors sa vie en qualité de "propriétaire et pépiniériste", et de président de la section locale de la Société provinciale d'agriculture du Limbourg...

La description de Belle Agathe de Novembre par Alexandre Bivort m'a vivement intéressé et le nom de la variété m'a fait rêver... Des cerises au mois de novembre ? Mon expérience des fruitiers a toutefois tempéré mon enthousiasme. Novembre en Belgique intérieure, cela fait mi-septembre dans la région de Toulon où je cultive mes collections de fruitiers rares... Mais, si c'est vraiment le cas, il s'agit bien d'un cerisier exceptionnel par l'extrême tardiveté de sa fructification. Exceptionnel, mais en fait introuvable... Après une recherche infructueuse, j'ai considéré que la variété avait disparu. Et les années ont passé. C'est au début des années 2000, au contact amical de Robert Pélissier, pépiniériste à Aubagne, près de Marseille, aujourd'hui retraité, que je me suis intéressé à nouveau à la cerise Belle Agathe de Novembre.

Celui-ci est un passionné de curiosités fruitières, auquel on doit la première introduction de cultivars greffés d'Asiminier en France, ainsi que des dizaines d'autres innovations fruitières, toutes aussi intéressantes, voire fascinantes, les unes que les autres. Il m'a convaincu qu'il y avait des pistes à explorer autres que celle des pépinières, à laquelle j'avais limité ma première recherche. Nous nous sommes alors lancés dans une recherche de Belle Agathe de Novembre auprès des collections privées et des conservatoires d'associations et d'organismes publics, en Europe et aux Etats-Unis. Au début de nos recherches, nous avons fait équipe avec un passionné de fruitiers rares de nationalité belge, qui a recherché la cerise Belle Agathe de Novembre auprès des pépinières et des associations pomologiques de Belgique. Il s'est même rendu dans le Limbourg à une fête de la cerise, et est allé également s'informer à Haelen, ville d'origine de la cerise Belle Agathe de Novembre. Aucune trace de cette variété, même dans la mémoire des personnes interrogées...

Après des mois de recherche, nous avons localisé une variété appelée Belle Agathe (sans le "de Novembre") au conservatoire de Bogdale (Royaume-Uni). Au terme de plusieurs semaines de documentation sur cette variété à partir des ouvrages de pomologie de la seconde partie du 19e siècle, français et étrangers, nous avons décidé de l'introduire en France pour observation.  Les premiers contacts avec Brogdale furent encourageants, grâce à l'amabilité et à la compréhension de Madame Mary Pennell, la conservatrice des collections. Compte tenu de son statut de pépiniériste, Robert Pélissier a pu obtenir de celle-ci que deux scions de la variété Belle Agathe soient ajoutés à notre intention dans la campagne annuelle de greffage effectuée à Brogdale.  Les scions nous ont été livrés à l'automne 2006, l'un d'entre eux étant planté dans la pépinière de Robert Pélissier, à Aubagne, l'autre dans mes collections, près de Toulon.

Madame Pennell nous avait précisé que la récolte sur place s'effectuait fin juillet / début août, ce qui nous avait intrigués. En effet, le texte d'Alexandre Bivort précise sans équivoque que la corbeille de fruits a été envoyée en novembre 1853 à la Commission royale de Pomologie Belge. Il ne peut exister un décalage de saison de récolte de trois mois entre le Limbourg belge et le sud-est du Royaume-Uni où se trouve Brogdale, de latitude proche, mais plus haute, même si le Limbourg belge se situe plus loin de la mer. Deux mois après la plantation des deux spécimens, nous avons à nouveau interrogé Madame Pennell sur la date de maturité à Brogdale. Elle nous a confirmé la date de fin juillet / début août.

Mon spécimen, comme tous mes autres cerisiers, a mal végété les premières années en raison de la terre lourde du lieu de plantation et de l'enherbement du sol, le désherbage n'étant effectué qu'occasionnellement. Le spécimen d'Aubagne s'est développé rapidement en raison d'un sol plus sableux et des conditions favorables d'élevage en pépinière, notamment un labour régulier. Il a fructifié pour la première fois au cours de la dernière semaine du mois de juillet 2010. La première fructification n'ayant pas été significative, aucune observation détaillée n'a été réalisée. La date de maturité nous a surpris par sa précocité relative, par rapport à ce qui aurait pu être attendu. Mais il s'agit quand même d'une maturité très tardive (Burlat + 60 jours à Aubagne), et Robert Pélissier a jugé que cette tardiveté ne manquait pas d'intérêt. Il a effectué des multiplications en petite série, par écussonnage d'été. Ci-dessous, photographie du plant de cerisier Belle Agathe d'origine Brogdale, à Aubagne (âgé de trois ans).
 

Cerise Belle Agathe d'origine Brogdale : plant à l'âge de trois ans

 Cerise Belle Agathe d'origine Brogdale : plant à l'âge de trois ans.

 

OBSERVATION DU PLANT D'ORIGINE BROGDALE

 

L'année suivante, le plant d'Aubagne a produit une dizaine de fruits. Ceux-ci ont cessé d'évoluer vers le 25 juillet, après avoir atteint un stade de pré-maturité (donc sans avoir atteint le stade de pleine maturité) et les pies ont commencé à les attaquer. Les premières observations détaillées ont alors été effectuées, au regard de la description d'Alexandre Bivort. Bien qu'elles concernent un arbre très jeune et une faible récolte, elles vont dans le sens d'une analogie entre le plant d'origine Brogdale et la description d'Alexandre Bivort.  Le port de l'arbre et la couleur de l'écorce sont conformes à cette description. Il faut souligner que l'arbre est très vigoureux. La forme et la dimension de la feuille, ainsi que le pétiole, correspondent également à celle-ci. En ce qui concerne le fruit, en premier lieu, on note qu'il est de taille moyenne, de forme ovale-arrondie et légèrement déprimé à la base et au sommet, conformément à la description d'Alexandre Bivort.
 

Cerise Belle Agathe d'origine Brogdale : feuilles et fruits non complètement mûrs

Cerise Belle Agathe d'origine Brogdale : feuilles et fruits non complètement mûrs.
 

En second lieu, une caractéristique majeure de la description (long pédoncule, de l'ordre de 6 cm) se vérifie sur le plant de Brogdale.
 

Cerise Belle Agathe d'origine Brogdale : fruits (pédoncule de 6 cm de long)

Cerise Belle Agathe d'origine Brogdale : fruits (pédoncule de 6 cm de long).
 

Dans la description pomologique, il est énoncé que la couture (ligne de suture) est superficielle. La planche illustrant la description montre toutefois une couture assez profonde. Sur les fruits que nous avons observés, la couture est en effet superficielle, sauf au milieu de la ligne de suture où l'on note assez souvent un sillon assez marqué sur un seul côté, qui apparaît sur les deux côtés pour certains fruits. Cette caractéristique n'est pas rapportée par Alexandre Bivort.
 

Cerise Belle Agathe d'origine Brogdale : fruits non totalement mûrs

Cerise Belle Agathe d'origine Brogdale : fruits non totalement mûrs
(noter le sillon caractéristique sur le fruit le plus à gauche).

 

Si l'on rapporte le fruit à une pièce de 1 euro, on voit mieux qu'il est d'assez petite taille.
 

Cerise Belle Agathe d'origine Brogdale : le fruit est assez petit

Cerise Belle Agathe d'origine Brogdale : le fruit est assez petit.
 

En ce qui concerne la couleur des fruits, ils sont jaune orangé puis virent au rouge clair, tout ou partie en fonction de l'insolation et de l'avancée de la maturation. Alexandre Bivort n'évoque pas la couleur jaune, pourtant la planche illustrative montre des fruits rouge orangé tachés de jaune. Nous avons retrouvé un fruit tombé au sol ayant atteint la surmaturité et qui était rouge foncé. 
 

Cerise Belle Agathe d'origine Brogdale : fruit à surmaturité, couleur rouge soutenu

Cerise Belle Agathe d'origine Brogdale : fruit à surmaturité, couleur rouge soutenu.
 

Assez curieusement, la quasi-totalité des fruits sont étroits, aplatis sur les côtés. L'observation ne portant que sur une dizaine de fruits d'un arbre très jeune, nous ne savons pas si cette caractéristique se vérifierait sur une récolte importante d'un arbre adulte bien établi. En tout état de cause, Alexandre Bivort n'en fait pas état dans sa description et la planche d'illustration associée montre des fruits arrondis sur les côtés.
 

Cerise Belle Agathe d'origine Brogdale : de nombreux fruits sont étroits

Cerise Belle Agathe d'origine Brogdale : de nombreux fruits sont étroits.
 

Lors de l'avancée en maturité des fruits, le sillon latéral partiel au niveau de l'un ou des deux côtés se transforme en une dépression douce.
 

Cerise Belle Agathe d'origine Brogdale : on note une dépression latérale, sur un ou deux côtés

Cerise Belle Agathe d'origine Brogdale : on note une dépression latérale, sur un ou deux côtés.
(pour trois des quatre fruits présentés).

 

Sur certains fruits, la dépression latérale est pratiquement comblée par une induration de la peau. Sur d'autres fruits, cette dépression devient noirâtre. Cette dépression (appelée "picoture superficielle" au Québec) est due selon nous à un désordre physiologique (stress abiotique) provoqué par les conditions de culture (sol, forte chaleur, siccité de l'air). Les cellules de la pulpe éclatent ou se rétractent entraînant un affaissement localisé de celle-ci. Nous nous interrogeons sur cette faiblesse, qui pourrait être une caractéristique de la variété observée se retrouvant dans toutes les régions de culture, ou qui pourrait simplement traduire une réaction aux conditions d'Aubagne avec arrosage insuffisant (les feuilles ne trahissent pourtant pas un manque d'eau).
 

Cerise Belle Agathe d'origine Brogdale : observation de la dépression latérale des fruits

Cerise Belle Agathe d'origine Brogdale : observation de la dépression latérale des fruits.
- dépression latérale indurée (en haut à droite) ou ayant tendance à noircir (en bas à droite) -

 

Cerise Belle Agathe d'origine Brogdale : autre exemple de dépression latérale

Cerise Belle Agathe d'origine Brogdale : autre exemple de dépression latérale ayant tendance à noircir.
 

La peau du fruit est épaisse et sa chair est jaunâtre, comme mentionné par Alexandre Bivort.
 

Cerise Belle Agathe d'origine Brogdale : peau épaisse et chair jaunâtre

Cerise Belle Agathe d'origine Brogdale : peau épaisse et chair jaunâtre.
 

Bien qu' Alexandre Bivort ne dise rien de la texture de la chair, précisons qu'en ce qui concerne le spécimen d'origine Brogdale la chair est ferme sans être croquante, et elle est juteuse. La chair (pulpe) est douce, totalement dépourvue d'acidité. Lorsque les fruits sont à un stade de pré-maturité (ceux qui ne connaissent pas la variété pourraient croire qu'ils sont mûrs), le fruit n'est pas sucré et il est insipide, avec une amertume caractéristique des cerises non mûres. Mais si l'on attend que les fruits parviennent à complète maturité, les fruits sont agréables et  l'eau est sucrée, comme indiqué par Alexandre Bivort. On est surpris par le caractère très sucré du jus et de la pulpe. La saveur est agréable, sur un léger fond d'amertume qui donne du caractère au fruit. Il faut noter que dans les ouvrages de pomologie de la seconde moitié du 19e siècle, français et étrangers, l'appréciation du goût de la cerise Belle Agathe est, sauf exception, très favorable.

Une observation minutieuse montre que le point pistillaire et le noyau sont conformes à la description d'Alexandre Bivort.
 

Cerise Belle Agathe d'origine Brogdale : point pistillaire

Cerise Belle Agathe d'origine Brogdale : point pistillaire.

 

Cerise Belle Agathe d'origine Brogdale : détail du noyau

Cerise Belle Agathe d'origine Brogdale : détail du noyau.
 

Nous croyons utile d'ajouter à nos propres observations une photographie très pédagogique que nous a adressée Madame Mary Pennell, conservatrice des collections de Brogdale.
 

Cerise Belle Agathe : présentation du fruit

Cerise Belle Agathe : présentation du fruit.
Crédit :
DEFRA National Fruit Collection, Brogdale.
(avec nos remerciements pour l'aimable autorisation de publication).

 

Conclusion de nos observations : le plant issu du pied-mère de Brogdale présente l'ensemble des caractères figurant dans la description d'Alexandre Bivort, mais une différence a été relevée. Il s'agit de la présence, pour une grande partie des fruits, d'un sillon partiel assez profond le long de la ligne de suture sur l'un ou les deux côtés, évoluant en dépression douce lors de l'avancée en maturité. Alexandre Bivort ne relève pas cette caractéristique. On peut considérer qu'elle traduit un désordre physiologique inhérent aux conditions de culture à Aubagne. On la retrouve toutefois dans un certain nombre de descriptions de Belle Agathe que l'on peut lire dans les ouvrages de pomologie de la seconde moitié du 19e siècle, français et étrangers (la revue pomologique que nous avons réalisée pour la variété Belle Agathe fait l'objet d'un article spécifique). Si l'on fait abstraction de cette différence en invoquant la raison indiquée, on peut déduire que nous sommes bien en présence de la cerise Belle Agathe de Novembre. Mais il demeure que le "de Novembre" n'est pas vérifié. Il existe sans conteste une problématique de l'époque de maturité.

 

PROBLÉMATIQUE DE L'ÉPOQUE DE MATURITÉ

 

Madame Mary Pennell, conservatrice des collections de Brogdale, nous avait indiqué lors de nos premiers contacts que la période de maturité du spécimen Belle Agathe détenu à Brogdale est fin juillet / début août. Elle nous a confirmé ces dates en 2006, au moment de l'introduction des plants en France. Elle a fourni la même information à un autre amateur de fruitiers qui l'a interrogée en 2009, et qui en a rendu compte sur le forum de Greffer.net. Cela suscite pour le moins l'interrogation : le décalage des périodes de maturité entre Brogdale et Haelen ne peut être de trois mois (fin juillet / début août à Brogdale et début novembre à Haelen).

Le Limbourg est une province située en région flamande au nord est de la Belgique ; elle est  limitrophe des Pays-Bas (où il existe également une région dénommée Limbourg) et a pour chef-lieu la ville de Hasselt. Haelen (Halen), où a été obtenue la cerise Belle Agathe de Novembre par le capitaine Thiéry, se situe à 17 kms à l'ouest de Hasselt et à 65 kms à l'est de Bruxelles. Brogdale (près de Faversham), où se trouve le conservatoire de fruitiers qui détient un pied-mère dénommé Belle Agathe, se situe près de la mer, sur la côte nord du Kent, à l'extrême sud-est de l'Angleterre (environ 85 kilomètres de Londres). On observe sur la carte ci-dessous que Brogdale est située à une latitude supérieure à Haelen et que cette dernière est plus éloignée de la mer.
 

Situation de Brogdale par rapport à Haelen

Situation de Brogdale par rapport à Haelen.
 

Haelen est localisée bien plus à l'intérieur des terres et l'on sait que le Kent bénéficie d'un climat relativement doux, mais cela ne saurait expliquer trois mois de différence de période de maturité entre la cerise Belle Agathe de Novembre obtenue à Haelen au milieu du 19e siècle et la cerise Belle Agathe détenue de nos jours à Brogdale. Un premier facteur expliquant une partie du décalage pourrait être l'exposition du lieu de culture : à Haelen l'arbre était peut-être exposé au nord, dans un endroit propice aux récoltes tardives, alors qu'à Brogdale l'arbre serait dans un endroit ensoleillé et relativement chaud propice aux récoltes précoces. La différence pourrait atteindre le mois, pas les trois mois.

Un autre facteur à prendre en compte pourrait être l'influence du porte-greffe : le capitaine Thiéry a précisé dans sa lettre d'envoi que la variété avait été obtenue de semis, donc l'arbre ne devait pas être greffé, alors que le spécimen de Brogdale est greffé sur Colt d'après nos informations. Le porte greffe Colt induit une précocité maximale de cinq jours par rapport au merisier. Par rapport à un arbre de semis il pourrait en être de même, quoique nous n'en ayons pas l'expérience. Pas de conclusion significative à en tirer. Le mode de culture ne nous paraît pas un facteur à considérer. A Brogdale, il s'agit d'un arbre de plein-vent en demi-tige (rang 16, arbre n°15), et si à Haelen le capitaine Thiéry avait conduit autrement son cerisier, cela aurait été probablement en espalier, mode de culture qui induit une récolte plus précoce... Sauf en exposition nord, dont nous avons déjà parlé.

On pourrait suspecter que la récolte de 1853 a été exceptionnellement tardive. Cela se produit certaines années pour les cerises comme pour les autres fruits, mais on constate alors trois semaines de décalage au plus avec une récolte d'époque normale. Si l'on va jusqu'à invoquer des circonstances extrêmes, on peut même imaginer une deuxième floraison à l'automne due à des facteurs climatiques hors normes. En effet, dans la région de Marseille, à quelques reprises dans la seconde moitié du 20e siècle, on a pu récolter des cerises en décembre... Il s'agissait d'années avec un été très sec et des orages précoces en août, ce qui induisait une deuxième floraison à la fin de l'été et une récolte de cerises en décembre. Mais si la récolte de novembre 1853 avait relevé d'un tel phénomène exceptionnel, le capitaine Thiéry, pépiniériste, n'aurait pas ajouté "de Novembre" dans le nom de sa cerise. De même, Alexandre Bivort n'aurait pas précisé qu'elle atteint sa maturité "fin d'octobre et en novembre" dans le premier ouvrage où il décrit la cerise Belle Agathe de Novembre (Album de pomologie, 1851, tome quatrième, page 133).

Il existe peut-être d'autres facteurs qui pourraient être apportés à la réflexion par des passionnés de fruitiers résidant dans le Limbourg belge et connaissant bien la culture de la cerise en cette région. Mais, tous facteurs considérés, pour nous qui savons que le décalage de période de maturité d'une même variété de cerise entre le littoral du Var et l'extrême nord de la France s'établit à un mois et demi au maximum, expliquer trois mois de décalage entre Brogdale et Haelen reste une gageure...

A moins que la réponse ne dépende tout ou partie de la façon de s'exprimer : fin juillet / début août serait le début de maturité des premiers fruits à Brogdale et fin octobre serait la fin de la période de tenue sur l'arbre des derniers fruits à Haelen, la première semaine de novembre étant alors l'ultime période de conservation des fruits hors de l'arbre (la corbeille de cerises serait alors parvenue première semaine de novembre à la Commission royale de Pomologie...). Mais nous ne savons pas à quel moment de novembre la corbeille de cerises a été soumise à la Commission royale de Pomologie (Alexandre Bivort indique simplement "en novembre 1853"). De plus, il serait logique de se baser sur l'époque de maturité du fruit pour nommer la variété. Or le nom complet donné à la cerise par le capitaine Thiéry indique "de Novembre", et ce nom a été avalisé par Alexandre Bivort. Ce dernier a même écrit dans Album de pomologie, 1851, tome quatrième, page 133, que Belle Agathe de Novembre  est "la meilleure de celles qui mûrissent fin d'octobre et en novembre".

 

L' ÉPOQUE DE MATURITÉ A HAELEN

 

Malgré tout, nous nous sommes interrogés sur l'exactitude de l'écrit d'Alexandre Bivort concernant la date de maturité : "fin d'octobre et en novembre". Et s'il s'agissait de la date de fin de tenue des fruits sur l'arbre et non de celle de leur maturité ? Ceci d'autant plus que certains des pomologues de la seconde partie du 19e siècle ayant personnellement pratiqué la cerise Belle Agathe ont souligné une longue tenue des fruits sur l'arbre.

 

DÉTERMINATION DE L'ÉPOQUE DE MATURITÉ A HAELEN

Après de longues recherches, nous avons trouvé un document qui nous indique que notre interrogation était la bonne. Il s'agit du Bulletin de la Fédération des Sociétés d'horticulture de Belgique de 1862 (Gand, imprimerie et lithographie de C. Annoot-Braeckman, 1863). Ce document traite principalement du Congrès International de Pomologie organisé à Namur, le 28 septembre 1862 et les jours suivants, par la Fédération des Sociétés d'horticulture de Belgique. Ce congrès avait pour but "de coordonner les travaux pomologiques réalisés dans les diverses contrées et d'établir une entente générale et une nomenclature uniforme". De nombreux obtenteurs proposent certains de leurs fruits (qu'ils ont apportés) à l'avis des commissions, pour mise à l'étude avant homologation définitive. Parmi les participants au congrès figure F. Thiéry, l'obtenteur de la cerise Belle Agathe de Novembre, présenté comme président de la section de Herck-La-Ville de la Société provinciale d'agriculture de Limbourg, à Haelen. Les débats nous montrent qu'il propose des fruits de son obtention pour inscription dans les listes de variétés.

En page 90 du document, se trouve le compte rendu de la quatrième séance du congrès, ouverte le 1er octobre 1862 à dix heures, qui nous livre des informations capitales. Le président du congrès, M. Royer, propose que la cerise Belle Agathe de Novembre soit inscrite dans la liste des variétés mises à l'étude : "M. le Président — On a pu voir et déguster aujourd'hui même la Cerise Belle Agathe de Novembre. Cette excellente variété d'une fertilité excessive donne des fruits qui se maintiennent sur l'arbre pendant toute la durée du mois d'octobre ; ils ont été pour la première fois présentés à la Commission  royale de Pomologie par M. Thiery et dégustés à Bruxelles le 2 novembre 1863*. Je propose donc la mise à l'étude de la cerise Belle Agathe. — Adopté.". *Le texte contient une coquille, nous sommes en 1862 et il faut évidemment lire 1853 au lieu de 1863.

En premier lieu, nous apprenons que les cerises se maintiennent sur l'arbre pendant tout le mois d'octobre (le président, qui a goûté les fruits le jour même, soit le 1er octobre, n'a pu recevoir cette précision que de l'obtenteur, F. Thiéry, qui, nous l'avons vu, est présent au congrès et propose certaines de ses variétés). Non seulement Alexandre Bivort ne donne pas cette précision dans ses ouvrages, mais il fournit une information erronée lorsqu'il écrit textuellement "la meilleure parmi les cerises qui mûrissent fin d'octobre et en novembre". Notons à cet égard que la date de maturité "fin d'octobre et en novembre", précisée dans Album de pomologie en 1851, a disparu des Annales de Pomologie Belge et Etrangère de 1855... On apprend aussi que c'est tout début novembre (le 2, très précisément) qu'en 1853 la corbeille de cerises a été soumise à l'appréciation de la Commission royale de Pomologie. Alexandre Bivort ne le précise pas dans sa description, se contentant de dire "en novembre 1853". Quant à F. Thiéry, on peut qualifier d'abus de langage l'appellation "de Novembre" pour Belle Agathe. Celle-ci, de toute évidence, ne mûrit pas au mois de novembre, mais bien avant, ne devant l'existence de derniers fruits consommables au tout début novembre qu'à une très longue tenue des fruits sur l'arbre.

Quoi qu'il en soit, nous possédons désormais des éléments permettant de progresser dans la problématique des dates de maturité. La dégustation des fruits au congrès a eu lieu le 1er octobre. Donc des fruits étaient mûrs à cette date. Si l'on considère le temps (à l'époque) de les apporter à Namur (70 kilomètres au sud de Haelen), peut-être même pour le début du congrès le 28 septembre, on peut dire qu'ils étaient mûrs dernière semaine de septembre. On établit donc qu'au moins une partie des fruits est à maturité la dernière semaine de septembre à Haelen, ce qui est bien différent que de considérer qu'ils mûrissent "fin d'octobre, début novembre"...

Raisonnons plus avant. Nous avons appris que la variété Belle Agathe est d'une "fertilité excessive", et que les fruits "se maintiennent sur l'arbre pendant toute la durée du mois d'octobre". D'après ce que nous connaissons des périodes de maturité des cerises, on peut prendre pour hypothèses que, dans le cas d'une variété à très longue tenue sur l'arbre, les fruits mûrs se maintiennent trois semaines sur l'arbre et que, dans le cas d'une variété à récolte échelonnée, la production de fruits mûrs s'étale sur trois semaines. Une tenue sur l'arbre jusqu'à fin octobre signifie alors que les derniers fruits sont mûrs fin de première semaine d'octobre (trois semaines plus tôt...), et que les premiers fruits sont mûrs à la mi-septembre (trois semaines plus tôt que les derniers fruits mûrs...). Notre conclusion : la cerise Belle Agathe de Novembre mûrit ses fruits à Haelen de la mi-septembre jusqu'à fin de la première semaine d'octobre, et les derniers fruits mûrs se maintiennent sur l'arbre jusqu'à fin octobre, permettant de les présenter en corbeille au tout début novembre.

 

RAISONNEMENT AVEC LA VARIETÉ BURLAT

Nous avons essayé aussi de raisonner sur la base de la date de maturité de la variété Burlat, considérée en France comme la variété de référence pour comparer les dates de maturité. A Aubagne, la variété Burlat arrive à maturité entre le 20 et le 25 mai, et la variété Belle Agathe deux mois après (vers le 25 juillet). La référence fiable de maturité de Burlat la plus proche de Haelen que nous ayons trouvée est le Centre Wallon de Recherches Agronomiques, situé à Gembloux, à 45 Kilomètres au sud-est de Bruxelles, à peu près à la même latitude que Lille. La variété Burlat s'y récolte le 20 juin (+ ou - 5 jours), soit un mois plus tard qu'à Aubagne.

En ajoutant à la date de maturité de Burlat constatée à Gembloux le délai de deux mois observé à Aubagne entre Burlat et Belle Agathe, on obtient une maturité entre le 20 et le 25 août pour la variété Belle Agathe à Gembloux. Or, Haelen  se trouve à 60 kilomètres au nord-est de Gembloux. Difficile de justifier qu'à seulement 60 kilomètres au nord-est de Gembloux, la variété Belle Agathe mûrirait "fin d'octobre, début novembre" (Alexandre Bivort), soit deux mois et dix jours après la récolte qui en serait faite à Gembloux (20-25 août)... En revanche, il est envisageable, avec une exposition à l'ombre par exemple, que la récolte à Haelen puisse commencer deux à trois semaines plus tard, ce qui conforte l'époque de maturité que nous avons déterminée pour Haelen (mi-septembre).

 

AUTRE CONFIRMATION POUR L'ÉPOQUE DE MATURITÉ A HAELEN

En exploitant une référence bibliographique fournie pour la cerise Belle Agathe dans plusieurs ouvrages de pomologie de la seconde moitié du 19e siècle, nous avons trouvé un document anglais qui conforte également l'époque de maturité que nous avons déterminée pour Haelen. Cette référence concerne une revue mensuelle illustrée anglaise : The Florist and Pomologist, Robert Hogg (rédacteur en chef), compilation de 1863 (publiée en 1864), page 32.  Robert Hogg y livre une description laudative de Belle Agathe : "cerise de valeur", "variété remarquable", "chair, lorsque mûre, d'une saveur particulièrement agréable, douce et sucrée". Les autres caractères décrits par Robert Hogg correspondent globalement à la description d'Alexandre Bivort et à nos propres observations.

Mais l'intérêt principal de cette description réside dans la partie consacrée à l'époque de maturité : "Aux environs de la mi-septembre, alors que les cerises ont disparu et ont été oubliées, cette variété commence à mûrir, et comme elle est vraiment très prolifique, les arbres lorsqu'ils sont recouverts de leurs fruits rouge vif ont un aspect tout à fait estival, rappelant celui des cerisiers de juin... ". Et aussi : "A Sawbridgeworth, les oiseaux ne touchent pas le fruit de telle façon que pendant presque entièrement le mois d'octobre deux arbres de haute-tige qui s'y trouvent sont vraiment très ornementaux. Savoir si les oiseaux laissent les arbres indemnes parce qu'en octobre les cerises sont inconnues dans le monde ornithologique reste une question à trancher. En tout état de cause, cette variété mérite vraiment d'être cultivée".

Sawbridgeworth est une localité située à environ 50 km au nord-est de Londres et il s'y trouvait une des plus grandes pépinières d'Angleterre, celle de Thomas Rivers avec lequel Robert Hogg a collaboré une quarantaine d'années. Robert Hogg confirme donc qu'à Sawbridgeworth la cerise Belle Agathe commencait à mûrir à la mi-septembre, ce que Thomas Rivers indique dans le catalogue de sa pépinière, édition 1860, en page 16.  Il précise aussi que les oiseaux n'attaquant pas les fruits, ceux-ci (du moins, on peut le penser, une partie d'entre eux) demeuraient sur l'arbre presque jusqu'à la fin du mois d'octobre. Compte tenu de la latitude de Sawbridgeworth, ces observations rendent tout à fait crédibles les dates similaires que nous avons déterminées pour Haelen (début de maturité à la mi-septembre et tenue des derniers fruits sur l'arbre jusqu'à fin octobre). Notons que dans l'article précité, Robert Hogg indique que Belle Agathe a pour synonyme Belle Agathe de Novembre et que c'est Thomas Rivers qui l'a introduite en Angleterre à partir de la Belgique environ dix ans plus tôt, donc en 1853.

 

L' ÉPOQUE DE MATURITÉ A BROGDALE

 

CONFIRMATION DU DÉCALAGE DE UN MOIS ET DEMI ENTRE BROGDALE ET HAELEN

Sur la base de la date de maturité déterminée pour Haelen, il existe une différence de un mois et demi entre l'époque de maturité à Brogdale (fin juillet / début août) et celle à Haelen (mi-septembre). Quoique divisée par deux par rapport aux trois mois de la problématique de maturité initiale, cette différence semble encore surprenante. Nous avons donc décidé d'interroger à nouveau Madame Mary Pennell, conservatrice des collections de Brogdale, plusieurs années après notre premier contact (plus précisément en août 2013) pour lui faire confirmer la date de maturité à Brogdale et préciser ce qu'elle entend par "maturité" : fruits tout juste comestibles de couleur jaune rougeâtre, fruits mûrs de couleur rouge brillant sans aucune trace de jaune ou fruits rouge foncé. Madame Pennell nous a aimablement répondu en ne remettant pas en cause la date de maturité qu'elle avait initialement donnée, et en précisant que cette date est celle de fruits rouges dont le goût avait été testé par la cueillette d'un fruit sur l'arbre deux ou trois fois. Le décalage de maturité entre Brogdale et Haelen a donc été confirmé.

 

CRÉDIBILITÉ DU DÉCALAGE DE MATURITÉ DE UN MOIS ET DEMI ENTRE BROGDALE ET HAELEN

Nous n'avons pas d'informations pour expliquer le décalage d'un mois et demi entre les dates de maturité à Brogdale (fin juillet / début août) et à Haelen (mi-septembre). Mais, même sans l'expliquer, on peut dire que ce décalage paraît crédible si l'on raisonne en utilisant le décalage de maturité entre Haelen et Aubagne. Nous avons vu précédemment qu'entre Aubagne et Gembloux le décalage de maturité est de un mois. Dire qu'entre Aubagne et Haelen, situé 60 km au nord-est de Gembloux, il est de un mois et une semaine est plausible, si l'on considère que le lieu de plantation à Haelen pouvait être propice à une récolte un peu plus tardive, selon l'exposition par exemple. D'autre part, en considérant les dates de maturité de la cerise Belle Agathe à Aubagne (25 juillet) et à Brogdale (fin juillet / début août), on peut dire que la maturité à Brogdale est plus tardive d'une semaine. Donc le décalage de maturité entre Brogdale et Haelen est de un mois et une semaine (décalage de maturité entre Aubagne et Haelen) + une semaine (décalage de maturité entre Brogdale et Aubagne), soit un mois et demi.

 

RAISONNEMENT AVEC LA VARIETÉ BURLAT

Comme pour l'époque de maturité à Haelen, nous avons essayé de raisonner sur la base de la date de maturité de la variété Burlat, considérée en France comme la variété de référence pour les dates de maturité. A Aubagne, la variété Burlat arrive à maturité entre le 20 et le 25 mai et la variété Belle Agathe deux mois après (vers le 25 juillet).  Nous avons donc demandé à Madame Pennell de nous indiquer la date de maturité de la variété Burlat à Brogdale, sachant que nous avions connaissance de la présence de cette variété dans ses collections. Madame Pennell nous a confirmé la présence de Burlat dans ses collections, mais a indiqué que la date de maturité de cette variété n'était pas mémorisée dans ses fichiers.

Nous avons alors demandé à l'association Rivers Nursery Site & Orchard Group (aujourd'hui disparue), qui gérait le reliquat des parcelles et des collections de la pépinière Rivers (fermée en 1985...), si elle détenait la variété Burlat en collection ou si un voisin la cultivait, et, dans l'affirmative, si nous pouvions connaître la date de maturité de cette variété.  L'association nous a répondu qu'elle ne possédait pas cette variété mais qu'un producteur de fruits lui avait indiqué que dans le Suffolk, où il existait des plantations commerciales de Burlat près d' Ipswich (130 kilomètres au nord-est de Londres), la maturité est habituellement atteinte à la mi-juin. En ajoutant à la date de maturité de Burlat dans le Suffolk le délai de deux mois constaté à Aubagne entre Burlat et Belle Agathe, on obtient une maturité à la mi-août pour la variété Belle Agathe dans le Suffolk. Soit deux semaines après la date de maturité à Brogdale, située à 85 km au sud-est de Londres, ce qui est cohérent avec la date annoncée pour la maturité à Brogdale et ce qui conforte la crédibilité de cette date.

 

PRÉCOCITÉ RELATIVE DE LA DATE DE MATURITÉ A BROGDALE

Toutefois, pour les méditerranéens que nous sommes, la maturité annoncée fin juillet / début août pour la cerise Belle Agathe à Brogdale, induisant seulement une semaine de décalage par rapport à la date de maturité constatée à Aubagne, paraît surprenante de prime abord. La région d'Aubagne n'est pas particulièrement propice aux récoltes très précoces comme ce peut être le cas pour Hyères sur le littoral varois, mais la récolte des cerises y est nettement plus précoce que dans la région parisienne (deux à trois semaines...). Nous avons vu également que le décalage de maturité avec Gembloux, situé à la latitude de Lille, est de un mois. On s'attend donc pour Brogdale, de latitude nettement supérieure à la région parisienne et à Gembloux, à un décalage de l'époque de maturité par rapport à Aubagne de trois à cinq semaines. Or il n'est que d'une semaine... On ne peut que le constater, Madame Mary Pennell ayant confirmé plusieurs fois la date de maturité à Brogdale. Les conditions climatiques de Brogdale, située dans le Kent à quelques kilomètres de la mer, expliqueraient-elles cette précocité relative ?

 

CONTRADICTIONS ENTRE LES DATES DE MATURITÉ EN ANGLETERRE

 

INTERROGATION SUR LES DATES DE MATURITÉ CONSTATÉES A BROGDALE ET A SAWBRIDGEWORTH

La date de maturité de Belle Agathe à Sawbridgeworth soulève une interrogation par rapport à celle constatée à Brogdale. Belle Agathe commence à mûrir à Brogdale fin juillet / début août (source : Mary Pennell, 2006 et 2013) et Belle Agathe commence à mûrir à Sawbridgeworth à la mi-septembre (sources : Thomas Rivers 1860, Robert Hogg 1863). Comment expliquer un mois et demi de différence entre les dates de maturité, sachant que Brogdale se trouve à 85 kilomètres au sud-est de Londres et que Sawbridgeworth se situe à 50 kilomètres au nord-est de Londres, les deux localités étant distantes de seulement 80 kilomètres à vol d'oiseau ? 

Nous avons volontairement ignoré la longue tenue des fruits sur l'arbre et l'étonnant désintérêt des oiseaux pour les fruits à Sawbridgeworth, et nous ne comparons donc que les dates de début de maturité. Madame Mary Pennell étant impliquée dans cette problématique des dates de maturité et, selon nous, connaissant bien les différents lieux de production de fruits en Angleterre, nous a paru la personne la mieux placée pour apporter une réponse à notre interrogation. Nous l'avons donc contactée à nouveau pour lui demander si elle pouvait expliquer un décalage aussi important de dates de maturité entre Brogdale et Sawbridgeworth ou s'il fallait suspecter deux variétés différentes de même nom.

Le 3 septembre 2013, elle nous a répondu de la façon suivante : "Vous serez sans doute intéressés de savoir qu'en fait il reste encore quelques fruits de Belle Agathe qui pendent toujours sur l'arbre à Brogdale cette année. Comme toutes les récoltes de cerises sont achevées, j'ai pensé que je pourrais aller contrôler l'état des arbres cet après-midi. La saison 2013 a été particulièrement tardive au Royaume-Uni, ce qui, bien évidemment, contribue au constat qu'il y a quelques fruits qui pendent sur l'arbre. Comme je vous l'ai déjà indiqué, notre fichier historique indique que cette variété est récoltée habituellement beaucoup plus tôt. Toutefois, cela prouve que Belle Agathe peut vraiment tenir sur l'arbre jusqu'à septembre lors d'une saison tardive". Cette réponse comporte des éléments très intéressants, mais n'explique pas la contradiction entre les dates de maturité à Brogdale et à Sawbridgeworth.

 

INTERROGATION SUR LES DATES DE MATURITÉ CONSTATÉES A BROGDALE ET A MAIDSTONE

Nous avions également demandé à Madame Penell la source de l'introduction de Belle Agathe dans les collections de Brogdale, en nous interrogeant sur un lien éventuel avec la pépinière de Thomas Rivers. Madame Pennell nous a indiqué que la variété Belle Agathe a été reçue en 1922 de la pépinière Bunyard, située à Maidstone, dans le Kent. Aucune trace dans ses fichiers d'un lien quelconque avec la pépinière Thomas Rivers.

Nous avons déterminé que la pépinière de la famille Bunyard, dénommée Royal Nurseries, a été créée en 1797 et était l'une des plus importantes pépinières d'Angleterre. Elle est restée en activité jusqu'en 1960. Le catalogue 1898-99 de cette pépinière, qui est la seule édition que nous ayons pu consulter sur Internet à la date de rédaction du présent article, nous indique en page 20, pour la variété Belle Agathe (synonyme Autumn Bigarreau) : "très tardive, pendant sur les arbres jusqu'à novembre ; une variété intéressante".

Cette information émanant de Maidstone recoupe les observations effectuées à Sawbridgeworth trente-cinq ans auparavant par Robert Hogg, mais contredit le constat actuel à Brogdale (fruits encore sur l'arbre début septembre, et uniquement les années de maturité décalée...). Ceci alors même que le spécimen de Brogdale a pour origine Maidstone et que Maidstone se situe à une trentaine de kilomètres seulement à l'ouest de Brogdale. Il est évident que si à Maidstone les fruits pendent sur l'arbre jusqu'à novembre, la date de début de maturité ne peut pas être celle de Brogdale (fin juillet / début août), mais serait plutôt celle de Sawbridgeworth (mi-septembre).

 

TENTATIVE D'EXPLICATION DES DATES DE MATURITÉ CONSTATÉES EN ANGLETERRE

Nous avons donc relevé deux contradictions concernant les dates de maturité de Belle Agathe en Angleterre : d'une part entre Sawbridgeworth et Brogdale, d'autre part entre Maidstone et Brogdale. Mais, on peut les ramener à une contradiction si l'on prend en compte que la date de maturité observée à Sawbridgeworth et celle déduite pour Maidstone sont les mêmes (mi-septembre). Il nous a paru nécessaire de porter à la connaissance de Madame Mary Pennell l'écart entre les dates de maturité à Maidstone et à Brogdale, en lui demandant une explication éventuelle. C'est ce que nous avons fait en juillet 2014.

Madame Lorinda Jewsbury, qui a remplacé Madame Mary Pennell au départ à la retraite de celle-ci, a aimablement pris en charge notre demande. Etant depuis peu au conservatoire de Brogdale, elle a consulté ses collègues plus anciens, Matt Ordidge et Penny Hale, et nous a transmis la réponse suivante : " Il paraît peu plausible que la différence de climat entre Brogdale et Sawbridgeworth soit suffisante pour expliquer le décalage de maturité enregistré entre ces deux localités. Et cela l'est encore moins entre Maidstone et Brogdale. Lorsque Belle Agathe fut vérifiée et décrite pour la collection nationale de fruits de Brogdale, en 2002, les fruits furent cueillis et examinés le 30 juillet. Les commentaires indiquent que le fruit est petit, plutôt sec et peu charnu. Il est également noté que les fruits auraient pu être laissés plus longtemps sur l'arbre. Quand John Bultitude décrivit le fruit le 27 août 1971, il a précisé qu'il n'était pas complètement mûr. Comme les fruits de la collection de Brogdale sont cueillis pour être mis à la vente et qu'il convient d'éviter de perdre trop de fruits par l'appétit des oiseaux, ils ne sont jamais laissés sur l'arbre jusqu'à ce qu'ils atteignent leur maturité complète. Ceci influence directement les dates auxquelles les fruits peuvent être cueillis et décrits à Brogdale. Quand Hogg et Bunyard ont décrit leurs spécimens, nul doute que les arbres étaient bien plus grands que nos arbres d'aujourd'hui et qu'ils produisaient une énorme récolte, ceci pour tout le verger, ce qui laissait suffisamment de fruits aux oiseaux et permettait que beaucoup de fruits puissent pendre à l'arbre plus longtemps. Il semble que Novembre dans le nom initial de la variété soit relativement subjectif et optimiste pour souligner des qualités potentielles plutôt que des qualités qui sont toujours vérifiées. Il aura fallu atteindre (ou paraître atteindre) le tout début novembre une fois, pour que quelqu'un ayant des visées commerciales s'empare de cette date. Pour conclure, nous ne pouvons pas donner d'explication réelle pour les différences entre les dates de maturité enregistrées en Angleterre, mais nous espérons vous avoir fourni des éléments de réflexion supplémentaires sur le sujet ".

Cette réponse confirme qu'il y a bien contradiction entre les dates de maturité car l'écart ne peut avoir pour explication une différence de climat. Elle nous apprend que la différence entre les dates de récolte (prises souvent pour les dates de maturité) entre Sawbridgeworth / Maidstone et Brogdale peut être accentuée du fait qu'à Brodgale les fruits ne sont pas récoltés à complète maturité. Enfin, en ce qui concerne la tenue sur l'arbre moindre à Brogdale, telle qu'elle est constatée de nos jours, nous avons une explication. L'observation de fruits non complètement mûrs le 30 août 1971 par John Bultitude est à rapprocher de celle de Mary Pennell le 3 septembre 2013. Tous ces éléments d'information permettent effectivement de progresser dans la réflexion, mais ne donnent pas de réponse complète pour les différences entre les dates de maturité considérées.

 

RIVERS NURSERY SITE & ORCHARD GROUP

 

Parallèlement aux contacts avec Brogdale, nous avons interrogé une association anglaise dénommée Rivers Nursery Site & Orchard Group, qui a pris en charge le reliquat des parcelles et des collections de la pépinière Rivers, à Sawbridgeworth, à une soixantaine de kilomètres au nord-est de Londres. A l'époque de l'obtention de Belle Agathe de Novembre en Belgique, la pépinière était gérée par Thomas Rivers, qui était pépiniériste et horticulteur, mais aussi pomologue de renommée internationale. Créée en 1725 par le père de Thomas Rivers, la pépinière a été exploitée 265 ans par la famille Rivers, qui mit fin à l'activité de la pépinière en 1985.

Etant établi, comme nous l'avons vu précédemment, que Thomas Rivers a introduit Belle Agathe en Angleterre depuis la Belgique vers 1853 et qu'il commercialisait cette variété, nous avons écrit à l'association pour lui demander si elle est en possession de documents concernant Belle Agathe et émanant de Thomas Rivers. L'association nous a aimablement répondu en nous fournissant les informations suivantes : à la clôture de la pépinière Rivers au milieu des années 80, après la vente des terrains à des fins immobilières, toutes les informations existantes ont été perdues. L'association a reconstitué une documentation à partir des bibliothèques anglaises, et de diverses autres sources.

Après recherches dans les exemplaires des catalogues de la pépinière Rivers que l'association a pu acquérir, il apparaît que Thomas Rivers proposait la cerise Belle Agathe dans son catalogue de 1861. Cette variété a disparu des catalogues des années 1897 et 1898, et ne figure pas non plus dans les catalogues ultérieurs en possession de l'association (1925, 1934, 1935 et1949). Nous avons vu précédemment que Belle Agathe figurait déjà au catalogue de Thomas Rivers en 1860. Nous avions également demandé à l'association si Belle Agathe est présente dans le reliquat des collections de Thomas Rivers, et, dans l'affirmative, si nous pouvions connaître son époque de maturité. L'association nous a indiqué qu'elle ne possède pas la variété Belle Agathe dans le reliquat des vergers de la pépinière Rivers. Elle a en outre interrogé les principaux amateurs et fournisseurs anglais d'anciennes variétés fruitières, et il apparaît que personne ne cultive plus la variété Belle Agathe.

Cette variété est d'ailleurs introuvable via le moteur de recherche de la base de données des plantes et fournisseurs de la Royal Horticultural Society. Une des personnes interrogées par l'association a précisé que Belle Agathe figurait dans les années 30 au sein de la collection de la station de recherches agronomiques située à East Malling, dans le Kent. Cette personne a ajouté que  la cerise Belle Agathe est décrite dans l'ouvrage Cherries de Norman Grubb, publié en 1949.

L'association Rivers Nursery Site & Orchard Group, constituée au printemps 2007 et dont on peut louer l'important travail accompli sur le site de Sawbridgeworth pour la sauvegarde de ce qu'il restait d'un patrimoine fruitier exceptionnel, a été malheureusement contrainte à la dissolution fin mars 2014 par le Conseil du Comté, qui lui a retiré la jouissance des terrains.

 

STATION DE RECHERCHES D' EAST MALLING

 

Nous avons voulu approfondir les deux pistes précitées, station de recherches d'East Malling (East Malling Research) et ouvrage de Norman Grubb. Les recherches sur Internet ont montré qu'elles se rejoignent. En effet, en examinant la couverture de l'ouvrage de Norman Grubb, en vente sur Internet par une librairie spécialisée dans les livres anciens, nous avons noté qu'il a été publié sous l'égide de la station de recherches d'East Malling, à laquelle appartenait l'auteur. Nous avons retrouvé une seule version numérisée du livre, qui est encore protégée par des droits d'auteur et n'est accessible qu'en accès restreint sur mots-clefs. Parmi les très courts extraits accessibles via ce type d'accès, figure une partie de la page 60 où il est indiqué que : "la chair de beaucoup de variétés de longue tenue sur l'arbre est plutôt molle, mais il y a au moins une exception frappante - Belle Agathe. Celle-ci, qui figure parmi les cerises douces les plus tardives à mûrir, possède une chair ferme, avec, en comparaison des autres, peu de jus. Les oiseaux la touchent rarement et elle tient bien sur l'arbre jusque dans le courant de septembre".

La présence de ces informations dans l'ouvrage établit que la variété Belle Agathe figurait dans la collection de la station de recherches d'East Malling, et confirme les observations de Brogdale concernant la tenue sur l'arbre jusqu'à courant septembre (seulement les années où la maturité de l'ensemble des variétés de cerises est décalée, selon les indications de Madame Pennell). Mais il n'est pas question de tenue sur l'arbre jusqu'à novembre, comme indiqué par la pépinière Bunyard à Maidstone. Pourtant East Malling se situe à seulement 18 kilomètres au nord-ouest de Maidstone... Ainsi, les observations de Brogdale sont confortées par celles d'East Malling.  Comme les observations, différentes, de Sawbridgeworth le sont par celles de Maidstone. Remarquons que la proximité géographique entre East Malling et Maidstone induit de fortes probabilités pour que le spécimen de Belle Agathe de la collection d'East Malling provienne de la pépinière Bunyard à Maidstone, comme c'est le cas pour le spécimen de Brogdale.

Nous avons cherché des informations plus récentes sur la présence de Belle Agathe dans la collection de la station de recherches d' East Malling. Nous avons seulement trouvé que la variété Belle Agathe est mentionnée dans un document émanant de la station d'East Malling en date de 2005. Il s'agit de : Cherry (in)compatibility genotypes - an updated cultivar table. Acta Horticulturae. 663: 667–671. Tobutt K.R., Sonneveld T., Bekefi Z. & Boskovic R. - 2005. Ce document recense 253 variétés de cerises qui sont ventilées selon leur génotype pour caractériser leur (in)compatibilité. Belle Agathe apparaît dans le groupe II (S1S3), dans lequel figurent également 27 autres cultivars, dont Van et Regina sont les plus connus en France. Nous n'avons pu avoir accès qu'à une version abrégée du document et nous ne savons pas si le document complet mentionne la source des cultivars. Ceux-ci appartiennent à des collections situées à East Malling, Ahrensburg (Allemagne), Saragosse (Espagne) ainsi que dans l'état de New York, dans le Michigan, et en Colombie-Britannique. Le spécimen de Belle Agathe cité dans le document devrait appartenir à la collection d'East Malling, mais, en toute rigueur, cela reste à vérifier.

 

CONCLUSION

 

Que pouvons-nous conclure ? La variété Belle Agathe introduite de Brogdale est conforme à la description de la variété Belle Agathe de Novembre réalisée par Alexandre Bivort, à une observation près. Nous avons déterminé que pour Haelen l'époque de maturité des premiers fruits de Belle Agathe de Novembre était en réalité la mi-septembre, avec une faculté de la variété à conserver sur l'arbre les derniers fruits mûrs jusqu'à la fin octobre. A cet égard, l'appellation Belle Agathe (sans le "de Novembre"), retenue par la quasi-totalité des auteurs, est préférable pour cette variété. Nous pensons donc que nous avons retrouvé la cerise Belle Agathe de Novembre décrite par Alexandre Bivort, mais que sa date de maturité à Haelen méritait d'être rectifiée.

 

 

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