Les fruitiers rares |
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Article publié en 2015. |
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Résistance au froid de certains Citrus et de leurs hybrides
R. CHOPINET et J. DUPOUY, ingénieurs horticoles du service Recherches et Sélections des établissements Vilmorin-Andrieux, ont publié cet article dans la revue Fruits, vol. 6, n° 4, pages 131 à 140, 1951. Nous n'avons pas reproduit les photographies, de qualité insuffisante sur la photocopie de l'article que nous avons achetée dans les années 1980 au service documentation du CIRAD. Sommaire de l'article : résistance au froid des différentes espèces de Citrus et possibilités de leur culture en France ; hybrides de Citrus résistant au froid (genèse) ; résistance au froid des différents hybrides de Citrus et possibilités de leur culture en France ; conclusions.
Introduit en 1923 dans les cultures de l'Arboretum Vilmorin à Verrières-le-Buisson, près de Paris, un hybride trigénérique de Citrus, le Citrangequat Thomasville a fructifié pour la première fois à l'automne 1950. Antérieurement, la floraison de cet hybride avait été observée maintes fois. Depuis son introduction (en provenance du Ministère de l'Agriculture de Washington), planté le long d'un mur orienté sud/sud-ouest, cet hybride a supporté tous les hivers, dont certains furent particulièrement rudes, sans autre protection que l'abri naturel offert par ce mur.
La grande résistance au froid de cet hybride de Citrus nous a suggéré quelques recherches en vue d'établir quelles étaient les possibilités de culture offertes par nos différents climats (méditerranéen, atlantique et semi-continental) aux nombreuses espèces et hybrides d'agrumes actuellement connus. A cet effet, une enquête auprès de quelques directions de jardins botaniques, de certaines directions de Services Agricoles, et de quelques amateurs distingués nous a permis de réunir une documentation succincte sur l'état actuel des plantations de Citrus en France et de leur rusticité. Nous avons constaté le peu d'efforts accomplis dans la voie de l'acclimatation des Citrus résistant au froid. Nous tenons à remercier ici toutes les personnes qui ont apporté leur concours à la connaissance de ce problème et particulièrement M. le Dr Ch. Favier (Quettehou, Manche), MM. Larue (Nantes), Chenault (Orléans), J. B. Texier et Baccialone (Antibes), J. Marnier-Lapostolle (Saint-Jean-Cap-Ferrat), J. Bernocco (Menton), les directeurs des Services Agricoles des Basses-Pyrénées, des Pyrénées-Orientales, de la Corse etc. Par l'étude de ce problème, il n'est nullement question de faire progresser bien au nord de sa zone actuelle la culture des Citrus à des fins commerciales, mais il était intéressant de savoir ce qu'un demi-siècle de recherches et de travaux dans cette voie avait pu donner comme résultats. Nous sommes persuadés que certaines espèces et quelques hybrides seraient susceptibles de devenir des plantes ornementales intéressantes, ou des arbres fruitiers d'amateurs.
RÉSISTANCE AU FROID DES DIFFÉRENTES ESPÈCES DE CITRUS (POSSIBILITÉS DE LEUR CULTURE EN FRANCE)
Nous n'envisagerons ici que les espèces types telles que M. Simonet et R. Chopinet les ont définies antérieurement (Contribution à l'étude des collections vivantes, botaniques et horticoles de la Villa Thuret. Les agrumes, Fruits d'Outre-Mer, 1947, vol. II, n° 5, p.144), faisant abstraction des différences variétales.
L'espèce la plus sensible au froid est le limier (Citrus aurantifolia Swingle), suivi de près par le cédratier (Citrus medica L.) et le citronnier (Citrus limon Burm.). Vient ensuite le groupe des pamplemousses (Citrus maxima Merr.), et des grapefruits (Citrus paradisi Macf.) ; puis l'oranger doux (Citrus sinensis Osbeck.). Plus résistants au froid sont les orangers amers ou bigaradiers (Citrus aurantium L.), les mandariniers (Citrus nobilis Lour.), les kumquats (Fortunella sp.). Le Calamondin (Citrus mitis Blanco), originaire des Philippines, cité par Kains comme l'une des espèces les plus résistantes au froid, n'est pas assez répandu sur le littoral méditerranéen pour pouvoir être situé d'une manière précise. Appartenant au groupe des mandariniers, faisons une mention particulière pour la variété Unshiu Swingle (Satsuma) qui est connue pour sa grande résistance au froid. Enfin, très rustique est le poncirier (Poncirus trifoliata Rafin.), appelé aussi Citrus trifoliata L. Le maintien de ces espèces dans certaines zones climatiques françaises et leur fructification sont non seulement conditionnés par les refroidissements hivernaux, mais aussi par les sommes de températures reçues l'été qui déterminent, d'une part, une bonne ou une mauvaise maturité de la fructification, d'autre part, l'aoûtement des rameaux. Nous n'avons pas fait intervenir le facteur altitude, qui lui aussi est limitant. Nos données sont valables pour toutes les régions de plaines, et pour les collines au voisinage de la mer.
Ces données nous ont amené à considérer les courbes isothermiques de janvier et de juillet, lesquelles définissent assez bien les zones de culture déjà existantes. C'est ainsi que nous pouvons distinguer six zones.
Zone I Caractérisée par l'isotherme de janvier + 9° et l'isotherme de juillet + 23°, cette zone correspond au climat de la Corse et de la région de Menton à Nice. C'est la zone du citronnier et du cédratier. On y trouve aussi les grapefruits et les pamplemousses. Peut également venir dans cette région, mais légèrement plus frileux, le limier.
Zone II Caractérisée par l'isotherme de janvier + 8° et l'isotherme de juillet + 23°, cette région correspond à notreCôte d'Azur, comprise de Nice à Cannes. C'est la zone de l'oranger, dans laquelle peut également croître à l'air libre, mais en situation abritée, le citronnier. Le cédratier, et encore plus le limier, y souffrent du froid et ne peuvent y végéter qu'en situation exceptionnelle. Les grapefruits, mandariniers et kumquats peuvent être cultivés dans cette zone.
Zone III Caractérisée par l'isotherme de janvier + 7° et l'isotherme de juillet + 22°, cette région occupe tout notre littoral méditerranéen oriental, approximativement de Toulon à la frontière italienne, ainsi que la région pyrénéenne orientale au voisinage immédiat de la mer, de Perpignan à Cerbère. C'est la zone du bigaradier, où celui-ci peut croître en pleine terre. L'oranger doux peut y être cultivé en situation légèrement abritée du mistral d'une part, de la tramontane d'autre part. Quant au citronnier, il y est signalé dans les localités les plus privilégiées, telles que Banyuls et Elne dans les Pyrénées-Orientales. Nous y trouvons aussi le mandarinier et les kumquats qui méritent d'y être essayés. La région d'Hendaye (isotherme de janvier + 8°, isotherme d'été + 20°) pourrait être incluse dans cette zone si nous envisageons la culture du bigaradier sous l'angle purement ornemental. La plante y pousse et y fleurit normalement, la maturation des fruits ne pouvant s'effectuer faute de chaleur estivale suffisante.
Zone IV Caractérisée par l'isotherme de janvier + 5° et l'isotherme de juillet + 18°, cette région occupe tout le littoral méditerranéen et le littoral atlantique jusqu'au Morbihan, une partie du Languedoc et du bassin de la Garonne. Dans cette zone, la culture des agrumes n'est généralement pas pratiquée. Dans l'aire méditerranéenne de cette zone, il existe quelques microclimats locaux jouissant des conditions générales de la zone III par suite de leur position géographique. Dans de telles situations abritées, le bigaradier pourrait y végéter, et même l'oranger doux (Roquebrun, dans la vallée de l'Orb, au nord de Béziers ; Amélie-les-Bains, près de Céret, vallée du Tech). Mais il semble que les Satsumas pourraient fort bien y venir. Seules les températures estivales peuvent limiter la bonne maturation des fruits sur le littoral atlantique. C'est ainsi qu'Auguste Chevalier (Le mandarinier Unshiu, agrume japonais cultivable dans une grande partie de la France, Rev. de Bot.appl., II, p. 224, 1922) a préconisé la culture de cette variété de mandarinier dans les régions maritimes de l'Ouest français (Bretagne et Cotentin). N'existe-t-il pas là une zone des Satsumas ? Selon un auteur japonais, les Satsumas qui donnent des arbres bas sont généralement greffés sur Poncirus trifoliata, et leur culture en Extrême-Orient en serait limitée par l'isotherme + 3° de janvier (ils supporteraient 2 à 3 mois d'enneigement).
Zone V Caractérisée par l'isotherme + 5° de janvier et les isothermes +16° et +17° de juillet, cette région englobe l'extrémité de la péninsule bretonne, approximativement de Quimper à Saint-Brieuc, et la partie extrême de la presqu'île du Cotentin. Dans cette zone, le Satsuma doit pouvoir se maintenir, mais le manque de chaleur estivale doit s'opposer à sa bonne fructification et le rendre fragile par manque d'aoûtement.
Zone VI
Cette dernière zone correspond à l'aire du poncirier, qui peut croître dans la France entière (sauf régions montagneuses). On a signalé des ponciriers ayant résisté à des froids de l'ordre de - 17° et même - 25°.
On peut dresser la carte suivante.
Carte des six zones de culture possible des espèces d'agrumes.
Et établir le tableau ci-dessous.
Possibilités de culture des espèces d'agrumes dans les différentes zones climatiques françaises. Cet aperçu sur les différentes zones climatiques françaises du point de vue de la culture des Citrus fruitiers nous montre qu'en dehors de la zone méditerranéenne orientale et d'une petite zone pyrénéenne en bordure de la Méditerranée, les possibilités de culture des agrumes sont fort restreintes. Si l'on fait abstraction du poncirier, espèce à fruit non comestible et exclusivement ornementale, les Satsumas, les plus rustiques des agrumes à fruits comestibles, demandent à être essayés dans la zone de l'olivier et sur le littoral sud-atlantique, et les kumquats au pourtour de la zone des orangers. Peut-être quelques résultats intéressants pourront-ils en être obtenus ?
HYBRIDES DE CITRUS RÉSISTANT AU FROID (GENÈSE)
Si peu d'espèces de Citrus sont susceptibles d'avoir une aire de culture importante en France, la diversité des espèces, les unes à peine rustiques dans les régions les plus privilégiées (Citrus aurantifolia Sw., Citrus.medica L.), les autres d'une rusticité à toute épreuve (Citrus.trifoliata L. = Poncirus), a donné la possibilité à certains chercheurs de créer par croisements des hybrides nouveaux, plus résistants que
les espèces types. Les premiers hybrides créés dans le but d'augmenter la résistance au froid des Citrus à fruits comestibles le furent presque simultanément en France et aux Etats-Unis, à la fin du siècle dernier.
CITRANGES En France, fécondant les fleurs d'un oranger par du pollen de poncirier, un amateur, Armand Bernard, obtient en 1894 quelques sujets hybrides, certains franchement intermédiaires, d'autres plus proches de l'oranger. L'hétérogénéité des hybrides ainsi obtenus est due non seulement à l'état hétérozygote du géniteur femelle employé (oranger), mais aussi au phénomène de polyembryonie que l'on observe très fréquemment chez le genre Citrus, donnant un certain nombre de plantes d'origine purement maternelle. Ces hybrides, cultivés et étudiés dans la propriété de l'auteur, près de Montauban (Tarn-et-Garonne), furent connus sous le nom d'orangers hybrides de Montauban. Selon Edouard André, qui leur consacra un article (Oranger hybride de Montauban, Revue Horticole, nouv. série V, p. 243, 1905), les plantes les plus rustiques issues de cette hybridation résistèrent à des froids de l'ordre de -10° à -14°. La première floraison eut lieu en 1903, et la fructification qui suivit donna des fruits de 6 à 7 cm de diamètre, de teinte orange, à peau moins rugueuse et moins épaisse que celle du poncirier, mais néanmoins à pulpe non comestible. Ces fruits montrèrent de nombreux pépins et la plante fut connue et décrite sous le nom de Citrange de Montauban (= Citrange Armand Bernard), nom venant de la combinaison des deux mots Citrus et orange. Nous retrouverons par la suite la même explication pour les mots satsumange, limonange, citrangequat, limequat, limonquat, orangequat, citrumquat, citrangedin, etc. Aux Etats-Unis, de 1893 à 1897, J. L. Norman , puis Herbert J. Webber et Walter T. Swingle travaillèrent sur le même sujet, c'est à dire accroître la résistance au froid de certains agrumes par hybridation. J. L. Norman, en Louisiane, en croisant le Poncirus x satsuma, obtint quelques hybrides qui fructifièrent en 1903. Les plantes montrèrent des fruits assez gros, globuleux et à pulpe légèrement amère. Selon A. Guillaumin (Citranges, Limonages et satsumanges, Revue Horticole, XVII, p. 140 et p. 157, 1920 ), ces hybrides résistèrent à des froids de l'ordre de -11° à -13°. Il leur donna le nom de Satsumanges de Norman. H. J. Webber et W. T. Swingle, en Floride, se servirent des mêmes géniteurs qu' A. Bernard en France et croisèrent l'oranger doux x poncirier. Ils obtinrent un certain nombre d'hybrides, dont les plus connus et les plus intéressants sont le citrange de Rusk et le citrange de Willits (New Citrus creations of the departement of Agriculture, U. S. yearbook of the departement of Agriculture, pp. 221-240, 1904). Citrange de Rusk : connu aussi sous le nom de Citrange de Webber, il est issu du croisement oranger femelle x poncirier mâle, effectué en 1897 à Eustis, en Floride. Le fruit de cet hybride ressemble à une petite orange de 4-5 cm de diamètre, à peau fine (épaisseur : 3 mm) et très fortement adhérente à la pulpe. Cette dernière, qui contient 1 ou 2 graines par fruit, est trop acide pour pouvoir être consommée nature. Citrange de Willits : connu aussi sous le nom de Citrange de Swingle, il est issu du croisement poncirier femelle x oranger mâle. Cet hybride, d'aspect proche du précédent, donne un fruit généralement asperme dont la pulpe rappelle celle du citron. Malheureusement, la peau possède la saveur désagréable du fruit de poncirier. Selon les obtenteurs, ces citranges résistèrent à des températures qui n'auraient pas pu être supportées par l'oranger. Ils continuent à végéter lorsque la température hivernale est suffisamment douce, mais ils restent assez sensibles aux brusques refroidissements et peuvent périr. Par ces premières obtentions, la voie pour la création de Citrus résistant au froid était tracée et une série d'hybrides, certains bigénériques (nombreux citranges nouveaux, tels que Colman, Cunningham, Etonia, Morton, Savage, etc.), d'autres trigénériques, allaient bientôt voir le jour, particulièrement aux Etats-Unis et en U.RS.S. En provenance du Ministère de l'Agriculture de Washington, les citranges de Rusk et de Morton furent introduits en 1923 à l'Arboretum Vilmorin, à Verrières-le-Buisson, près de Paris. Ces hybrides ne résistèrent pas aux hivers de la région parisienne. Le Dr L. Trabut, à Alger (Importance de l'hybridation pour la production de nouveaux types de Citrus comestibles, Revue Horticole de l'Algérie, VII, p. 113, 1903) réalisa des hybrides poncirier x bigaradier en vue d'obtenir des porte-greffes résistant au froid. Il donna le nom de citrange porte-greffe à ses obtentions. Des croisements analogues, poncirier x Citrus, furent également obtenus avec différentes espèces, tels les Citremons (Poncirus x Citrus limon), les citrandarins (Poncirus x Citrus nobilis) et les citrumelos (Poncirus x Citrus paradisi). Signalons encore les croisements réalisés vers 1914-1917 par Swingle, entre le poncirier et les citrons, limes, calamondins et grapefruits.
HYBRIDES DE CITRANGES Quelques obtenteurs essayèrent de créer des agrumes à fruits comestibles par recroisement des premiers citranges obtenus. D'autres, au contraire, orientèrent leurs recherches vers la réalisation d'hybrides à partir de géniteurs nouveaux. Certains tentèrent de créer des porte-greffes résistants. Enfin, d'autres virent dans les hybrides nouveaux, non seulement la possibilité d'accroître la résistance au froid, mais aussi à certaines maladies. Armand Bernard, déjà cité, recroisa entre eux les premiers citranges obtenus et obtint ainsi une nouvelle série d'hybrides qui furent connus et décrits sous le nom de citranges de Montauban améliorés. Recroisés avec leurs parents, les citranges donnèrent, d'une part, les cicitranges (poncirier x citrange), et, d'autre part, les citrangors (citrange x orange). Croisés avec le calamondin (Citrus mitis Blanco), ils donnèrent les citrangedins, hybrides cités par Kains comme résistant à des froids de l'ordre de -10° (Grow your own fruit, New-York, Greenberg, 1945). Armand Bernard effectua également vers la même époque le croisement citronnier x citrange en vue d'accroître la rusticité du premier. Les hybrides obtenus furent appelés par A. Guillaumin limonanges de Montauban, et, selon cet auteur, ils résistèrent à des froids de l'ordre de -10°. G. Couderc, à Aubenas (Ardèche), créa également quelques hybrides du type citrange et il fit quelques essais en vue d'acclimater les mandariniers Satsuma (Les orangers en pleine terre à Aubenas, Ardèche, Lyon Hort., n° 4, p. 62, 1923). En provenance de G. Couderc, nous avons introduit en 1923 à l'Arboretum Vilmorin, à Verrières-le-Buisson, près de Paris, les hybrides suivants : poncirier x citronnier et pamplemousse x poncirier. Ces plantes disparurent très rapidement. Citons également quelques travaux d'hybridation du même genre effectués à la Villa Thuret (Antibes), et restés inédits.
CITRANGEQUATS Dans ces premiers travaux d'hybridation, les obtenteurs ont exploité la résistance au froid du Poncirus trifoliata, lequel est un Citrus épineux, à feuilles caduques et à fruits non comestibles. Vers 1909, W. T. Swingle et T. R. Robinson utilisèrent d'autres géniteurs, les kumquats, appartenant au genre Fortunella, lesquels sont à feuilles persistantes et à fruits comestibles. Ces espèces possèdent une forte dormance hivernale. A partir de ces géniteurs, plusieurs combinaisons furent réalisées en employant tantôt le poncirier, tantôt les citranges réalisés antérieurement. Une série d'hybrides nouveaux et intéressants virent bientôt le jour. Selon W. T. Swingle, les premiers hybrides poncirier x kumquat (citrumquats) se montrèrent très difficiles à obtenir. Ils furent généralement chétifs et sans grand intérêt immédiat. Par contre, en croisant les citranges précédemment obtenus avec les kumquats, il créa une série nouvelle et très intéressante d'hybrides trigénériques, les citrangequats (Citrus x Poncirus x Fortunella). Les plus connus de ces premiers hybrides sont les citrangequats Thomasville, Telfair et Sinton, décrits par W. T. Swingle et T. R. Robinson (Two important new types of Citrus hybrids for the home garden, Citrangequats and Limequats, Journal of Agricultural Research, XXIII, pp. 229-238, 1923). Citrangequat Thomasville : de Thomasville, localité de Géorgie, U.S.A., où l'hybride a fructifié pour la première fois. Le citrangequat Thomasville est issu du croisement kumquat ovale femelle x citrange Willits mâle. Il fut créé à Eustis, en Floride, en 1909, dans le but d'accroître la résistance au froid des citranges en accentuant le caractère de dormance hivernale, et d'améliorer la valeur du fruit (La peau des citranges possède l'odeur désagréable de la poncire). Le citrangequat Thomasville est un arbrisseau à port dressé et à rameaux épineux, les épines étant toutefois assez réduites sur les rameaux fertiles. Les feuilles polymorphes, certaines entières, d'autres bi- ou tri-foliolées, avec tous les intermédiaires, sont semi-persistantes. A la floraison qui se produit assez tardivement, succèdent des fruits ovales à sphériques d'environ 5 cm de diamètre, devenant jaune orangé à maturité. La peau est fine (3 à 4 mm). La pulpe est juteuse, acide, devenant assez douce à complète maturité et elle contient de 0 à 12 graines. Le calice est persistant, en forme de griffes très caractéristiques. Le citrangequat Thomasville a résisté dans l'état de Géorgie (U.S.A.) à des froids de -10°. A. J. Zarestsky relate (Quinkanas and their hybrids, Soviet subtropics, VII, p. 50, 1936) que cet hybride, introduit en 1928 dans le sud de l'U.R.S.S., a eu un comportement très satisfaisant durant les hivers rudes de la période 1928-1935, et qu'à cette date il n'avait pas encore fructifié dans cette région. L'exemplaire que nous possédons à l'Arboretum de Verrières, qui vient de fructifier à l'automne de 1950, est un sujet issu de boutures. Il mesure environ 2 m de hauteur. Ses feuilles, très polymorphes, sont semi-persistantes avec caducité accusée sur les pousses fructifères. Durant les périodes les plus froides de l'hiver, il n'est pas rare que l'arbre perde la presque totalité de ses feuilles. Les fruits récoltés courant novembre se sont montrés oranges, subsphériques à légèrement aplatis, aspermes, à pulpe juteuse mais acide. Cet hybride, abrité seulement le long d'un mur, a parfaitement résisté à tous les hivers de la région parisienne depuis une vingtaine d'années. Citrangequat Telfair : de Telfair County, Géorgie, U.S.A. Cet hybride, issu du croisement kumquat ovale femelle x citrange Willits mâle, se différencie surtout du précédent par son fruit ordinairement asperme, plus sphérique et qui reste fortement acide, même à complète maturité. Citrangequat Sinton : de Sinton, localité du Texas. Hybride issu du croisement kumquat ovale femelle x citrange Rusk mâle, surtout remarquable par son fruit subsphérique à légèrement allongé, qui possède une peau fortement colorée d'un rouge orangé brillant. La pulpe est asperme et fortement acide. Selon W. T. Swingle et T. R. Robinson (Two important new types of Citrus hybrids for the home garden, Citrangequats and Limequats, Journal of Agricultural Research, XXIII, pp. 229-238, 1923), l'intérêt des citrangequats réside non seulement dans le fait qu'ils peuvent prospérer au-delà de l'aire généralement occupée par les Citrus fruitiers, mais aussi dans leur faculté à rendre de grands services comme porte-greffes pour les Satsumas. Pour remplacer le poncirier, généralement employé à cet effet mais très sensible au chancre, on peut utiliser avec avantage les citrangequats, assez résistants à cette maladie. De plus, une des caractéristiques non négligeables des citrangequats est le fait que leur multiplication peut s'effectuer de boutures.
LIMEQUATS Parallèlement à l'obtention des premiers citrangequats, dans le but d'accroître la rusticité de la lime (Citrus aurantifolia), le plus délicat de nos Citrus fruitiers, Swingle croisa celle-ci en 1909 avec le kumquat, donnant ainsi naissance à une nouvelle série hybride, les limequats, dont les plus connus sont les limequats d'Eustis, de Lakeland et de Tavares. Limequat d'Eustis : d'Eustis, localité de Floride où furent effectués la plupart des travaux d'hybridation sur les Citrus fruitiers. Issu du croisement lime femelle x kumquat rond mâle, le limequat d'Eustis est un hybride vigoureux, donnant un sujet peu épineux, à feuilles ressemblant à celles du kumquat, mais plus grandes. Ses fruits abondants, de maturité échelonnée, sont ovales à subsphériques d'environ 3 à 5 cm de diamètre, à peau jaune et brillante. La pulpe est verdâtre, abondante et fortement acide. Selon A. J. Zaretsky, le limequat d'Eustis, introduit à Soukhoumi (U.R.S.S.) en 1927, a résisté à des variations de température s'abaissant jusqu'à -7° et -9°. Ces faits ouvrent des perspectives pour la culture de cet hybride dans les régions côtières de la Mer Noire, dans les zones trop froides pour la culture du citronnier. Le Limequat d'Eustis, introduit en 1923 à l'Arboretum de Verrières, n'a pas pu résister aux hivers de la région parisienne. Limequat de Lakeland : de Lakeland, localité de Floride. Cet hybride, issu du même croisement que le limequat d' Eustis, donne un fruit allongé et relativement gros, qui ressemble à un petit citron jaune vif de 5 à 6 cm de long. La peau est fine et douce. La pulpe, jaune pâle, très juteuse, est fortement acide. Limequat de Tavares : de Tavares, localité de Floride, très proche d'Eustis. Le limequat de Tavares, issu du croisement lime femelle x kumquat ovale mâle, se rapproche beaucoup du limequat d'Eustis par l'aspect et le goût des fruits. Selon Swingle, il s'en différencie surtout par ses boutons floraux qui sont roses, tandis qu'ils sont blancs pour le limequat d'Eustis. L'intérêt de cette série hybride des limequats réside surtout dans le fait qu'ils peuvent dans une certaine mesure remplacer le citronnier là où sa culture devient délicate par suite de la rigueur des hivers (zone de l'oranger et du bigaradier).
AUTRES HYBRIDES Dans un but identique, à savoir accroître l'aire de culture du citronnier, W. Swingle croisa les citronniers avec les kumquats, créant un nouveau groupe hybride, les limonquats. Poursuivant des travaux d'hybridation sur les Citrus, notamment avec les kumquats, les chercheurs de l'Institut Agronomique de Soukhoumi (U.R.S.S.) ont, dès 1923, créé un certain nombre d'hybrides afin d'accroître l'aire de culture des Citrus dans les provinces du Sud. A. J. Zaretsky (Quinkanas and their hybrids, Soviet subtropics, VII, p. 50, 1936) signale que l'hybride poncirier x kumquat, difficilement obtenu par Swingle, est à nouveau obtenu en 1923 à Soukhoumi. Cet hybride, le citrumquat, n'est pas sans intérêt en tant que porte-greffe et géniteur nouveau. De plus, exploitant la faculté des hybrides limequats de se recroiser facilement avec les autres espèces, A. J. Zaretsky signala la réalisation du croisement citronnier x limequat. En 1932, au même institut de Soukhoumi, l'hybridation oranger x kumquat était réalisée et le groupe hybride des orangequats prenait naissance. Ainsi, nous voyons se façonner petit à petit de nombreux hybrides entre les genres Citrus, Poncirus et Fortunella, dont la création a pour thème général l'accroissement de la résistance au froid des Citrus fruitiers. Le genre Citrus apportant avec ses nombreuses espèces le caractère « fruitier », le poncirier et les kumquats apportant le caractère « résistance au froid ».
RÉSISTANCE AU FROID DES DIFFÉRENTS HYBRIDES DE CITRUS (POSSIBILITÉS DE LEUR CULTURE EN FRANCE)
Si la résistance au froid des Citrus a pu être accrue grâce à la réalisation de nombreux hybrides intergénériques, la possibilité d'acclimatation en France de ces types nouveaux est fort peu connue. En dehors des premiers essais effectués dans le Midi à partir des citranges obtenus par Armand Bernard, de quelques travaux d'hybridation et d'acclimatation effectués par G. Couderc à Aubenas (Ardèche), et par le Dr Favier à Quettehou (Manche), nous n'avons que fort peu de renseignements à ce sujet. Devant ce manque d'essais de culture, nous allons essayer, à l'aide des données étrangères, de voir quelle pourrait être l'aire de dispersion probable des principaux hybrides signalés. Nous comparerons leur rusticité à celle des espèces types dans les différentes zones telles que nous les avons définies précédemment (voir carte des zones climatiques françaises, fournie plus haut).
Zone I (zone du citronnier) Dans cette région (Corse et littoral méditerranéen de Menton à Nice), où les cédratiers et les limiers ont parfois à souffrir du froid, les hybrides limequats (Citrus aurantifolia x Fortunella sp.) doivent fort bien se comporter, ainsi que tous les autres hybrides.
Zone II (zone de l'oranger) Dans la zone de l'oranger (Nice-Cannes), il est probable que les limequats, les limonanges (Citrus limon x Citrange), et les limonquats (Citrus.limon x Fortunella sp.) peuvent végéter en plein air, et remplacer dans une certaine mesure le citronnier qui y devient frileux.
Zone III (zone du bigaradier) Sur la côte méditerranéenne de Cannes à Toulon, ainsi que dans la région de Perpignan, les limonanges et les limonquats pourront être essayés en situation abritée. Les orangequats (Citrus sinensis x Fortunella sp.), citremons (Citrus limon x Poncirus), citromelos (Citrus paradisi x Poncirus), citranges (Citrus aurantium ou sinensis x Poncirus), citrandarins (Citrus nobilis x Poncirus), citrangedins (Citrange x Citrus mitis) doivent pouvoir y végéter en plein air, ainsi que les hybrides plus rustiques.
Zones IV et V (zones du Satsuma ?) Sur tout le pourtour de notre littoral méditerranéen, et dans les localités les plus abritées, par suite les plus chaudes, du littoral atlantique jusqu'au Morbihan, en particulier dans les Basses-Pyrénées au voisinage de la mer, les orangequats, citremons, citrumelos, citranges, citrandarins, citrangedins pourraient être essayés. Dans toute la zone atlantique, il est assez probable que les satsumanges (Citrus nobilis unshiu x Poncirus), les citrangequats (Citranges x Fortunella sp.) et les citrumquats (Poncirus x Fortunella sp.) doivent pouvoir s'établir et se maintenir en plein air. Au nord de cette zone, en Bretagne et dans le Cotentin, les trois hybrides précédents pourront être essayés, leur résistance hivernale étant assez grande. Seul le manque de chaleur pourra nuire à une bonne végétation et à la maturation des fruits.
Zone VI (zone du poncirier)
Le comportement du citrangequat Thomasville dans la région parisienne nous laisse entrevoir les possibilités d'étendre l'aire des Citrus (exclu Poncirus) vers l'est. Nous pensons que la culture des citrangequats, et peut-être des satsumanges et des citrumquats, pourrait être essayée jusqu'à l'isotherme de janvier +3°, voire au-delà sous certaines conditions. Bien entendu, comme pour la zone précédente, il est fort probable qu'au nord de l'isotherme de juillet +18°, les plantes aient à souffrir du manque de chaleur estivale. Nous engloberons dans cette région, que nous appellerons sous-zone du citrangequat, la vallée inférieure de la Loire, les vallées du sud du Massif Central, la vallée du Rhône jusqu'au nord de Valence et les vallées chaudes de la Provence et du Dauphiné. Plus à l'est de l'isotherme +3° de janvier, sauf situation exceptionnellement abritée ou microclimats locaux, il semble assez difficile de maintenir ces hybrides : c'est la sous-zone du poncirier proprement dit.
Le tableau ci-dessous récapitule les possibilités de culture des hybrides de Citrus dans les différentes zones climatiques françaises.
Possibilités de culture des hybrides de Citrus dans les différentes zones climatiques françaises.
CONCLUSIONS
Durant les dernières années du XIXe siècle et la première moitié du XXe siècle, les généticiens ont créé grâce aux croisements entre le genre Citrus et les genres voisins Poncirus et Fortunella un grand nombre d'hybrides intergénériques nouveaux, en vue d'accroître la résistance au froid des Citrus fruitiers. Si ces obtentions n'ont pas la valeur fruitière des espèces types (oranger, citronnier, mandarinier), leur résistance au froid, à certaines maladies et leur utilisation éventuelle comme porte-greffes nous mettent en présence d'un matériel d'étude considérable et très intéressant. Le comportement de ces hybrides en France est fort peu connu, mais il semble que la culture d'un certain nombre d'entre eux pourrait être tentée et réussir bien au-delà de la zone de l'oranger. Tout le littoral méditerranéen, une partie du Languedoc, de la vallée de la Garonne et du littoral océanique jusqu'à la Loire ne pourraient-ils pas convenir à la culture de certains de ces hybrides ? Et même au-delà, en Bretagne, dans le Cotentin, quelques-uns ne seraient-ils pas susceptibles d'y végéter ? Si du point de vue fruitier (parfaite maturité du fruit), le Midi à influence méditerranéenne offre toute garantie, il n'en est pas de même du littoral océanique et à plus forte raison de celui de la Manche. Ici, la nébulosité et la douceur des températures estivales (isotherme de juillet +16° à + 20°) ne permettront pas toujours une complète maturité des fruits et un bon aoûtement des sujets. Mais combien de plantes horticoles sont cultivées dans nos jardins dans de telles conditions, la fructification ne s'effectuant qu'en années exceptionnelles... Pour ces régions atlantiques, il n'y a pas lieu d'envisager la culture des Citrus résistant au froid et de leurs hybrides en tant qu'espèces fruitières. Mais essayons d'en inscrire quelques-uns sur la liste des végétaux exotiques susceptibles d'être propagés dans nos jardins du Sud-Ouest et de l'Ouest, pour la beauté et le parfum de leur floraison.
Arboretum Vilmorin. Verrières-le-Buisson, janvier 1951.
Bibliographie complémentaire non citée dans le texte. Ardouin-Dumazet. Rivesaltes et la Salanque, les jardins de Perpignan, au pied des Albères : Port-Vendres et Banyuls. Voyages en France, 37e série, Le Golfe du Lion, Paris, Berger-Levrault. Chapot H. et Champion J. (1948). Botanique des Citrus. Fruits d'Outre-Mer, vol. 3, n° 2, p. 65. Convert F. (1879). Les orangers de Roquebrun (Hérault), Journal d'Agriculture Pratique, 43e année, t. I, p. 639. Duchartre p. (1863). Note sur les orangers cultivés en pleine terre et sans abri à Roquebrun (Hérault). Journal de la Société Impériale et Centrale d'Horticulture, pp. 270-277. Gaussen H. (1934). Etage de l'Oranger, Géographie botanique et agricole des Pyrénées-Orientales, p. 78, Paris, Paul Lechevalier. Giuglaris A. (1940). De l'acclimatation des végétaux exotiques dans le Midi de la France, Thèse de Doctorat, Nice. Heuze G. (1895). L'Oranger, Journal d'Agriculture Pratique, 59e année, t. I, p. 543. Jarry-Desloges R. (1934). Contribution à l'étude des Citrus sur la Côte d'Azur, Revue Horticole XXIV, pp. 19 et 36. Jean G. (1937). Monographie agricole du département des Alpes-Maritimes. Nice. Simonet M. et Dansereau P. K. (1938). Une vague de froid sur la Côte d'Azur, Revue Horticole XXVI, pp. 98 et 118. Simonet M. et Texier J. B. (1941). Observations sur les dégâts occasionnés par les gelées au Jardin Thuret pendant l'hiver 1939-1940, Petite Revue Agricole et Horticole, Antibes, p. 18. Swingle W. T. (1946). The Citrus Industry, Berkeley, University of California.
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