Les fruitiers rares
 
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Article publié en 2003.
Première publication : 1865.
Auteur : Emmanuel LHERAULT.

 

 

Culture du Figuier à Argenteuil

 

 

 

Dans cet article, paru en 1865 dans Le livre de la ferme et des maisons de campagne, Emmanuel L'Hérault, praticien de la culture commerciale du Figuier à Argenteuil, nous livre un témoignage précieux sur les méthodes et techniques d'un âge d'or révolu. Que de minutie, de connaissances, et de savoir-faire, chez ces trois cents cultivateurs qui produisaient à l'époque, sur 50 hectares, 400.000 figues par an...

"Nous croyons également qu'elle ne finira pas de sitôt", affirme avec enthousiasme notre figuiculteur du Nord en parlant de cette culture, alors vieille de plus de deux cents ans. Le "progrès" lui donnera tort... Ce qui rend encore plus respectable son témoignage. Chapeau les artistes...

 

 

Ici, nous sommes bien éloignés de la région des oliviers. Et cependant la culture du figuier a de l'importance sur nos coteaux, puisqu'elle y occupe à peu près 50 hectares de terrain, pour environ 300 cultivateurs, et y produit, année moyenne, plus de 400.000 figues. On assure que cette culture date de plus de deux cents ans. Nous n'avons pas de peine à le croire, car des livres du siècle passé en parlent comme d'une chose qui n'était pas nouvelle.

Nous croyons également qu'elle ne finira pas de sitôt, parce que nous n'avons rien à craindre, au moins quant à présent, de la concurrence méridionale. Pour que la figue soit bonne, il faut qu'elle mûrisse complètement sur l'arbre, que sa peau se gerce, s'éraille ; or, dans cet état, elle n'est pas transportable à de grandes distances, même en chemin de fer. Le Midi ne pourrait donc nous faire concurrence sur la place de Paris qu'avec des figues récoltées sur le vert, et par conséquent de médiocre qualité.

Notre grand avantage, ici, est de pouvoir récolter les figues mûres à point, de les transporter nous-mêmes à la halle pendant la nuit et de les offrir au public dans toute leur fraîcheur appétissante. Elles sont certainement moins sucrées que les figues de Provence, mais on les trouve excellentes ainsi, et les acheteurs parisiens n'en voudraient probablement pas d'autres.

On assure que la variété cultivée le plus communément à Argenteuil est la Blanquette ; nous croyons, nous, que c'est la Coucourelle blanche, mais nous n'oserions en répondre. On y rencontre aussi, mais très exceptionnellement, la Dauphine violette et la figue de Bordeaux, cultivées en caisses.

Nous ne faisons qu'une seule récolte le plus ordinairement ; c'est la récolte des figues-fleurs que l'on appelait jadis figues de la Saint-Jean, bien qu'elles mûrissent plus sûrement en juillet que dans la seconde quinzaine de juin. Quand il nous arrive de cultiver des figues d'automne ou de seconde sève, c'est que l'année a été exceptionnellement chaude et l'arrière-saison très propice.

Cependant, on pourrait obtenir chaque année à Argenteuil des figues d'automne en petit nombre, sans préjudicier aux figues de printemps, au moins sur les jeunes figuiers de 8 à 20 ans. Pour cela, au lieu de ne laisser qu'un seul rameau de remplacement, il serait nécessaire d'en laisser deux et d'éborgner à deux feuilles le rameau le plus élevé. De cette manière, la figue d'automne recevrait plus de sève et gagnerait trois semaines d'avance. Cette opération, dans tous les cas, ne devrait avoir lieu que sur un petit nombre de branches bien conditionnées, sans quoi elle fatiguerait l'arbre à l'excès.

Notre moyen de reproduction est le plant enraciné, arraché aux vieilles souches.

Nous n'élevons pas nos figuiers à haute tige, parce que les fruits ne prospéreraient point en pleine terre ; nous les faisons ramifier dès la base et les cultivons par cépées ou couches, pour nous servir d'une expression du pays. Nos principales branches ne s'étendent guère à plus de trois mètres et sont à demi couchées dans le sens inverse de la pente du terrain, c'est-à-dire en remontant le coteau.

Tantôt nous intercalons nos arbres parmi les vignes usées que l'on se propose de détruire prochainement, et qui, après l'arrachage, se trouveront converties en figueries ; tantôt, nous établissons de petites figueries sans aucune culture intercalaire ; nous disons de petites figueries parce qu'il serait impossible d'en établir de grandes dans une localité où la propriété est morcelée à l'infini.

Comme dans le Midi, nous avons, depuis une quinzaine d'années, à nous plaindre du champignon des racines que nous appelons le blanc. Il est surtout commun dans les vieilles figueries où les pieds sont très rapprochés l'un de l'autre. Pour ce qui est des insectes, nous n'avons à nous plaindre que d'un charançon qui mange les jeunes fruits en avril, au moment où la figue se montre.

Pour exécuter nos plantations, nous prenons des chevelées ou plants enracinés d'une année de couchage. Nous commençons par détacher ces chevelées de la souche mère à l'époque des premières gelées ; nous les plaçons dans un cellier avec de la terre meuble et fraîche sur les racines ; puis, dans la première quinzaine de mars, nous nous occupons de la plantation.

Pour cela, il s'agit d'abord d'ouvrir en quinconce sur le terrain des fosses de 0,50 m en lignes transversales au coteau, éloignées l'une de l'autre de 3,50 m. La distance à observer sur chaque ligne entre les fosses est de 1,80 m. Une fois les fosses ouvertes, on doit, pour faciliter la reprise, mettre dans chaque fosse sur une épaisseur de 8 à 10 cm un mélange de bonne terre et de fumier consommé.

Cela fait, on taille en biseau allongé les deux extrémités de la chevelée, on rafraîchit avec la serpette le jeune chevelu, on plante chaque pied en le couchant, en remontant dans le sens du coteau, et l'on appuie pour que le gros bout appointé pénètre dans la terre ferme. Après cela, on recouvre en coupant la terre autour de la fosse, de façon à en élargir l'orifice, et l'on ne remplit qu'à la hauteur de 20 cm en piétinant vigoureusement la terre. En sorte qu'il reste autour de chaque figuier un bassin de 30 cm de profondeur pour faciliter le couchage. Cette profondeur de 30 cm doit être non seulement maintenue, mais encore, lorsque le figuier est arrivé à l'âge de six ans, il convient de former au-dessous de ce bassin un rebord de terre, à l'effet de mieux retenir les eaux pluviales qui peuvent ruisseler sur le coteau.

Autrefois, certains cultivateurs plantaient les chevelées dès l'automne, au moment du sevrage. Mais on a constaté que le plant trop vert alors, c'est à dire mal aoûté, pourrissait souvent en hiver. On a dû renoncer à ce vieux procédé. Dès que la plantation est faite, on donne un bon labour à la houe entre les lignes et les figuiers, afin de cultiver des légumes qui sont le plus ordinairement des pommes de terre et des haricots nains. Ces récoltes intercalaires ont le mérite de faire attendre patiemment celle des figues, qui n'est avantageuse qu'au bout de cinq années.

Anciennement, et encore de nos jours, des cultivateurs disposaient et disposent leurs figuiers par quatre pieds rapprochés qui fournissent quatre faisceaux de branches. C'est ce que nous appelons la plantation par quatre couches, en opposition avec celle que nous venons d'indiquer, qui porte le nom de plantation oblique détachée. La plantation par quatre couches a un double inconvénient : 1° par les grands vents, les feuilles, qui sont très rudes, exercent un frottement continuel contre les figues, les noircissent et en occasionnent souvent la perte ; 2° lorsqu'arrive le moment de coucher les figuiers en terre afin de les préserver du froid, il faut être bien exercé pour ouvrir convenablement les fosses avec la plantation par quatre faisceaux, tandis qu'avec la plantation oblique l'opération est des plus simples.

Puisque nous avons mentionné le couchage, parlons en tout de suite. Il convient d'abord de nettoyer le sol des feuilles mortes de figuier, d'enlever même celles qui tiennent encore à l'arbre, et d'en faire un tas près de la souche. Il faut également enlever par une coupe nette, au niveau de la branche de remplacement, les petits rameaux qui ont produit les figues de l'année. Après cela, il ne reste plus qu'à procéder au couchage. A cet effet, on choisira une journée calme, qui ne soit pas brumeuse afin que l'écorce du figuier soit bien ressuyée.

Chaque année, du 1er au 15 novembre, c'est à dire à l'approche de l'hiver, on couche le figuier en terre, dans des fosses pratiquées au-dessous et en rapport avec le volume des branches. On réunit ces branches en forme de fagot, que l'on ne lie point, mais à tort, attendu qu'au moment du sevrage on s'expose à laisser des branches au fond de la fosse. Nous savons que la ligature fera quelque obstacle au couchage ; mais il serait facile d'en triompher.

On abaisse les branches dans la fosse ouverte, avec le plus de précaution possible, mais cependant sans trop craindre les éclats ou les ruptures. Notre figuier en souffre sans doute, mais il n'en meurt pas et n'en produit que mieux très souvent. Une fois le figuier couché par la force de quatre hommes (il s'agit d'un figuier à partir de sa dixième année), et maintenu d'abord avec les pieds, nous prenons de la terre sur les côtés de la fosse et l'en chargeons d'une épaisseur de 20 cm au bout des branches et de 10 cm vers le pied. Sur ces 10 cm, on place les feuilles ramassées que l'on recouvre encore de 10 cm de terre. C'est tout ce qu'il en faut pour empêcher l'arbre de se relever, pour le garantir de la gelée, et ne pas trop le priver d'air.

Le relevage du figuier ainsi enterré se fait du 25 février au 15 mars. On peut avancer ou reculer de quelques jours cette opération, en se réglant sur l'état de la saison. Toutefois, pour l'exécuter, il convient de toujours choisir un temps humide, parce que le bois, ramolli par un séjour souterrain de plusieurs mois, serait très sensible à un changement brusque de température. Un soleil déjà chaud, aussi bien qu'un vent sec, provoquerait une prompte évaporation de l'humidité de l'écorce et du bois, et amènerait du même coup un refroidissement funeste.

Un figuier qui a été couché ne se relève jamais bien. Il conserve toujours un port incliné, à demi-rampant, défavorable à la circulation fougueuse de la sève, et par conséquent très favorable à la fructification. Il a le mérite, en outre, de tenir ses figues à une distance rapprochée du sol, et c'est à cela qu'elles doivent leur précocité et leur maturité parfaite. Sans le couchage, qui imprime à nos figuiers la disposition particulière et originale qu'on leur connaît, il est clair que les fruits seraient moins abondants et ne mûriraient pas aussitôt. Pour s'en convaincre, il suffirait d'élever une cépée droite à côté d'une cépée de couche, d'empailler la première pour la sauver du froid et de continuer d'enterrer la seconde, puis de comparer les produits et les dates de maturité.

Une fois le relevage des figuiers terminé, il faut songer au pincement. Ce travail consiste à supprimer avec un instrument tranchant le bourgeon ou œil terminal qui se trouve à l'extrémité de chaque branche, en ayant soin, bien entendu, de ne pas endommager la toute petite figue placée à côté de chacun de ces bourgeons.

A la suite du pincement, qui est la première opération de culture et qui a pour objet de retenir la sève vers les parties moyennes du figuier, nous avons à nous occuper d'un éborgnage plus compliqué, auquel nous donnons ici le nom d'équetonnage ou ectonnage. Il consiste à enlever avec l'ongle les quelques boutons à bois placés à côté de chaque figue, en prenant bien garde d'endommager les figues en question. Il est facile de distinguer la figue du bourgeon ou bouton à bois, en ce que cette figue naissante est ronde et d'un vert foncé, tandis que le bourgeon est allongé et d'un vert jaunâtre.

Si nous ne fixons pas une date précise à l'équetonnage, c'est que le moment de l'exécuter varie beaucoup. Le mieux est de dire qu'il convient d'y procéder aussitôt qu'il devient possible de distinguer sûrement l'œil à bois de la figue, qui lui est pour ainsi dire accolée. La sève, au lieu de se dépenser en bois et en feuilles, se dépense en fruits. Jusqu'à ce que le figuier ait atteint sa dixième année, on doit laisser deux bourgeons à bois, le plus bas possible et en-dessous, sur chaque branche fruitière. Ces bourgeons sont destinés à former des rameaux de remplacement.

Aussitôt les figues récoltées, on supprime les branches qui les ont produites, juste au-dessus des deux bourgeons qui se développeront pour fructifier à leur tour. Cette suppression n'aurait pas lieu si l'on voulait faire des figues d'automne.

A partir de l'époque de l'ectonnage, et pendant quinze jours ou trois semaines au moins, nous nous abstenons de toute culture parmi les figueraies. En effet, l'expérience nous a prouvé qu'au moment où la figue se forme, les orages et les pluies coïncidant avec une culture fraîche amènent la coulure des fruits. Nous affirmons le fait ; nous ne nous chargeons pas d'en donner l'explication.

Pour ce qui est de la taille, on voit que nous nous bornons à enlever les rameaux qui ont fructifié, afin de les remplacer par un ou deux rameaux de dessous qui fructifieront à leur tour. Le pincement et l'équetonnage nous dispensent des fortes amputations, qui, d'ailleurs, ne conviennent point au figuier. Pourvu que nous lui assurions ses rameaux de remplacement et que nous le débarrassions de son bois mort avec la serpette, il n'exige rien de plus en fait de taille.

Ainsi que nos confrères du Midi, nous dégageons nos pieds de figuier des drageons ou redruges qui, en grand nombre, les fatiguent, et nous ne réservons que les plus beaux brins pour remplacer au besoin les branches manquantes. Pour obtenir nos chevelées, nous ne nous servons pas de ces redruges, mais bien des fortes branches que nous couchons aussitôt après le relevage du figuier, dans une fosse de 25 cm et de manière à ne laisser sortir de terre que l'extrémité (20 cm) des divers rameaux de ces branches. On ne taille pas ces rameaux, mais on leur enlève le bourgeon terminal. Souvent ces marcottes, destinées à être sevrées à l'automne, produisent des figues précoces l'année du couchage.

Lorsqu'un figuier est fatigué par l'âge et la production, ou bien encore lorsqu'il a été mutilé gravement, il devient nécessaire de le renouveler. On le recèpe alors en avril à 6 cm au-dessous du niveau du sol. Dans le cas où il ne drageonnerait pas dans le courant de l'année, on ne devrait point en désespérer ; ce serait pour l'année suivante. Seulement, il serait nécessaire, en avril de cette seconde année, de rafraîchir la coupe avec le souchet, sorte de pioche à long manche, à lame très étroite et bien tranchante. C'est ce même outil qui sert au recépage et à l'extraction de certaines branches malades parmi celles du figuier.

La maturité des figues à Argenteuil n'a lieu le plus ordinairement que dans la seconde quinzaine de juillet. Nous activons la maturation, en mettant, avec une plume, une larme d'huile d'olive sur l'œil de chacun des fruits. On les avance ainsi de dix jours au moins. Cette opération facile ne doit avoir lieu que le soir, par un vent d'est ou du midi. Il va sans dire que l'on touche les figues dans le but d'en échelonner la récolte autant que dans celui de la hâter, et que toutes les figues d'un arbre ne sont pas propres à être touchées en même temps.

Les figues bonnes à être forcées se reconnaissent à ce qu'elles perdent leur teinte verte, et se lissent pour passer à la nuance jaune clair. Il faut commencer le forçage à l'huile par les deux premiers fruits qui se trouvent à l'extrémité des branches. Au bout de quatre jours, si les figues touchées entrent dans la phase de maturité, on en touche deux autres immédiatement au-dessous d'elles. On s'accorde assez généralement à reconnaître que les figues sont bonnes à forcer quand les froments du voisinage commencent à jaunir. Voilà un signe à la portée de tout le monde.

 

 

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